Qualité de l'air
EnvironnementIdées et innovations

Agir pour la qualité de l’air dans nos territoires : urgence !

Par Gilles Martin, Alkéos Michaïl et Laura Papet (4ème Révolution), ainsi que Henri de Grossouvre, Isabelle Martin et Nicolas Buchoud (Cercle Colbert).

La surveillance de la qualité de l’air ambiant a été confiée aux collectivités territoriales, auxquelles l’État a donné un cadre décrit dans le plan national de réduction des émissions (PREPA), révisé tous les 5 ans. Il fixe les objectifs nationaux de réduction des émissions de certains polluants atmosphériques. Le dispositif est complété par le contrôle exercé par des association agréées de surveillance de la qualité de l’air (ASSQA), fédérées autour d’Atmo France, et par les outils que sont le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) et le plan de protection de l’atmosphère (PPA). Au-delà de ces instruments, des solutions existent localement pour mesurer, analyser et traiter l’air que nous respirons.

Les pollutions étant sectorielles, les solutions le sont également. Elles peuvent être préventives, correctives ou curatives. Quelle que soit la démarche à mettre en place, il est impératif d’avoir recours aux grandes étapes suivantes : la métrologie, grâce aux capteurs et logiciels permettant de mesurer voire prédire la pollution ; le diagnostic, permettant de définir des lignes d’actions à partir des données collectées et fondées sur l’expertise de bureaux d’étude ; les solutions en tant que telles, permettant de limiter les émissions (comme les zones à faibles émissions) ou de purifier l’air localement, principalement via des « puits de carbone ».

Vers des puits de carbone dans nos espaces urbains

Ces puits de carbone font l’objet de différentes expérimentations. Cinq ont été installés, notamment à Poissy, à Courbevoie et place Victor-et-Hélène-Basch à Paris, ainsi que par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAPP). Libourne accueillera le siège de la joint-venture chargée de la commercialisation de ces puits de carbone. Il s’agit d’une solution adaptée au milieu urbain, dont l’expérimentation a pour objectif de tester la capacité du dispositif à fixer les particules fines (PM10) et le dioxyde d’azote (NO2).

Les résultats sont probants : les taux d’abattement sur ces deux paramètres sont en moyenne de 50 à 75 %. En sortie de dispositif, l’air traité est d’une qualité supérieure aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En milieu semi-confiné (cour d’école, tunnel, métro, etc.), la solution « IP’Air » est expérimentée à la station de métro Alexandre Dumas. Cette technologie permet de capter et de traiter les particules fines (PM10 et PM2,5) de l’air ambiant par un système d’ionisation positive.

Au niveau national et institutionnel, le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) identifie les mesures à mettre en place pour améliorer la qualité de l’air. Le Conseil national de l’air assure, quant à lui, le suivi de ce plan. Les mesures visées sont multiples : mise en place des meilleures techniques possibles (pour le secteur industriel), réduction de la volatilisation de l’ammoniac en encourageant l’usage de matériel et d’engrais moins émissifs (pour le secteur agricole), électrification des bornes à quai pour les navires et réduction du soufre dans les carburants (pour le secteur maritime) et interdiction du brûlage des déchets verts et incitation au changement des chauffages bois directs (pour les collectivités).

Des start-up à la pointe de l’innovation

Les solutions actuelles interviennent à trois échelles, portant tour à tour sur l’air extérieur, l’air intérieur et l’air que respire un individu indépendamment du lieu dans lequel il se situe. Certaines solutions se fondent sur l’évaluation de la qualité de l’air. Par exemple, des start-up ont développé des capteurs miniaturisés, fixes ou mobiles, et financièrement accessibles, permettant aux citoyens de mesurer directement la qualité de l’air qu’ils respirent. Les capteurs fixes peuvent être installés sur des arbres ou des façades de bâtiments, de sorte à obtenir une cartographie des rues en temps réel, comme le fait la start-up Atmotrack. Les capteurs mobiles, à l’image du capteur Flow de la start-up Plume Labs, peuvent être tenus dans le creux de la main et calculer la pollution moyenne rencontrée lors d’un trajet personnel quel qu’il soit, par exemple dans le métro, ou même chez soi.

Dans le prolongement de ces solutions « diagnostics », des entreprises innovantes s’attachent à développer des solutions correctives, agissant directement sur la qualité de l’air. À l’échelle de l’espace intérieur, il existe, au-delà des purificateurs d’air usuels, des solutions ne nécessitant pas d’électricité. Dans ce cadre, l’entreprise Air Pur Labs a créé le coussin Blooow, qui a été primé par le concours international Lépine en 2016. Ce coussin est composé d’un mélange de charbon actif et d’acétoacétamide, enveloppé de laine bouillie respirante. Sa vertu est de capturer le formaldéhyde issu de la combustion incomplète de substances contenant du carbone, ainsi que les composés organiques volatils.

Le principal avantage de ce type de dispositifs est qu’il peut être partout, notamment dans des espaces intérieurs tels que l’habitacle d’une voiture. Des évaluations indépendantes ont montré que ces dispositifs diminueraient respectivement de 45 et 30 % la présence de formaldéhyde et de composés organiques volatils dans l’air.

Sur un plan individuel, et avant même que les masques chirurgicaux ne soient démocratisés par la récente pandémie de la Covid-19, diverses start-up avaient déjà pensé et développé des solutions permettant de respirer un air purifié. Ainsi, la plus célèbre d’entre elles, R-Pur, basée à Station F, met à la disposition notamment des cyclistes et des conducteurs de vélomoteurs des masques dont les performances sont dix fois supérieures à celles de la plus haute norme européenne FFP3. Les cinq différentes couches filtrantes de ces masques leur permettent de filtrer les gaz, les odeurs, les pollens, les bactéries, les virus, ainsi que les particules fines et toxiques liées à la pollution de l’air, jusqu’à 0,05 micron.

Une nature riche d’enseignements

Enfin, l’une des solutions de dépollution les plus efficaces, mais également l’une des plus anciennes et naturelles, est la phytoremédiation. Elle consiste à utiliser les propriétés filtrantes des plantes. En effet, elles ont non seulement une respiration inversée par rapport à celle des mammifères, c’est-à-dire qu’elles absorbent le CO2 présent dans l’air ambiant et rejettent du dioxygène, mais elles se nourrissent également de polluants issus de l’activité humaine. Néanmoins, toutes ces plantes ne se valent pas et certaines ont des propriétés dépolluantes spécifiques bien supérieures à la moyenne. À cette fin, on utilise soit des plantes sélectionnées pour leurs propriétés hyper-filtrantes, soit des plantes génétiquement modifiées pour assainir les espaces intérieurs ou extérieurs des villes.

C’est dans cette idée que la start-up Kyanos a mis en place à Toulouse un « arbre à algues », qui consiste en un dispositif de pompage de l’air relié à une grande cuve dans laquelle baignent des micro-algues spécifiques. Leur intérêt est de filtrer autant de gaz carbonique qu’une centaine d’arbres classiques. Aussi, toujours dans l’idée de trouver une solution de dépollution pérenne, d’autres scientifiques tels que les fondateurs de la start-up parisienne Neoplants ont effectué des modifications génétiques sur des végétaux afin qu’ils dégradent spécifiquement les composés organiques volatils les plus nocifs.

Plusieurs expériences ont à ce jour montré l’efficacité de telles plantes génétiquement modifiées. L’une des plus célèbres étant celle menée par l’université de Washington, qui a consisté à intégrer dans la plante Epipremnum aureum, aussi nommée « lierre du diable », un gène de lapin ayant pour mission de coder l’enzyme cytochrome P450 2E1 qui dégrade les composés toxiques situés dans le foie. Le lierre du diable ainsi génétiquement modifié a montré sa capacité à absorber, en une dizaine de jours, la quasi-totalité du benzène et du chloroforme présents dans des tubes à essais contenant initialement des concentrations de ces polluants bien plus importantes que celles rencontrées au quotidien. Les premiers résultats obtenus grâce à la modification génétique des plantes sont prometteurs et nul doute que de nombreuses plantes de ce type verront le jour dans un futur proche.

L’indispensable coopération public-privé

D’ici 2040, plus de 94 000 milliards de dollars devraient être investis dans le développement de nouvelles infrastructures dans le monde, selon de récentes estimations du G20. Mais leur impact sur l’environnement reste trop largement sous-estimé, en l’absence d’instruments de mesure et d’outils de régulation harmonisés. La crise de la Covid-19 a mis en lumière d’importantes inégalités dans l’accès à la nature et à un environnement de qualité, nourrissant une forme de désaffection inédite pour les territoires urbains.

Dans ce contexte, le développement d’infrastructures vertes et bleues et la valorisation des services écosystémiques et des solutions fondées sur la nature sont essentiels. Cette préoccupation est mise en avant de manière unanime dans le cadre du groupe des villes du G20 et par les travaux du groupe de travail sur les infrastructures, qui rassemble les think tanks de cette même instance. Malgré l’approche de la COP15 sur la biodiversité, qui se tiendra à l’automne 2021 à Kunming en Chine, les travaux les plus récents mettent en lumière la sous-évaluation chronique des bénéfices des solutions fondées sur la nature, particulièrement en milieu urbain, pour lutter contre la pollution de l’air.

Pour répondre aux défis et à l’urgence de l’amélioration de la qualité de l’air, la coopération entre territoires, collectivités, grands groupes, entrepreneurs, chercheurs et start-up est indispensable. C’est en organisant ces coopérations et en expérimentant les solutions que des progrès se feront jour, sans oublier le changement des comportements citoyens qui reste la clé d’une prise de conscience globale et d’une action volontariste. À l’heure de la relance économique, et alors que les besoins de solidarité et de soutien aux plus vulnérables n’ont jamais été aussi importants, la société n’a plus les moyens de supporter le coût exorbitant des externalités environnementales négatives et de leurs impacts sur la santé publique.

Plutôt que de continuer à traiter les conséquences du problème, à des coûts extrêmement élevés, État et collectivités doivent partager une responsabilité commune. Responsabilité qui pourrait s’exprimer dans la révision de la législation européenne sur la qualité de l’air (paquet « Air pur »). Nous devons œuvrer à la transition vers un mix énergétique bas carbone, adossée à une approche volontariste de l’aménagement du territoire associant infrastructures et mobilités durables, équilibre retrouvé entre villes et campagnes et géographie économique où activités industrielles et agricoles contribuent à la production de valeur ajoutée – mais aussi au développement d’une économie du bien-être.


4ème Révolution est un think tank indépendant au sein duquel dirigeants, scientifiques et start-upers confrontent leurs idées. Sa vocation est de permettre, grâce à des rencontres inédites, l’émergence d’une vision nouvelle capable d’apporter des solutions ingénieuses et efficaces face aux défis de la quatrième révolution industrielle, tant au niveau de l’entreprise que de la société.

Le Cercle Colbert, « observatoire des transformations territoriales et sociétales », est le seul think tank réunissant à parité majorité et opposition, sphère publique (élus et dirigeants de collectivités) et sphère privée (entreprises). Cette configuration originale en fait un lieu d’échange et de réflexion sur les questions touchant à la gestion des collectivités locales et aux transformations territoriales et sociétales. À l’origine fondé par des élus, experts et directeurs de services spécialisés dans la gestion publique locale, le Cercle Colbert a progressivement évolué et élargi son champ d’activité aux enjeux des mutations sociales et sociétales, ainsi qu’au rôle clé que les territoires sont appelés à jouer en complément des métropoles.

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