Gaspard Koenig
Vie publique

Gaspard Koenig : “Les maires sont les premiers concernés par la simplification des normes”

Écrivain et philosophe, Gaspard Koenig est le fondateur du mouvement “Simple” qui milite pour une simplification radicale des normes et pour une plus grande autonomie des collectivités locales. À quelques mois de l’élection présidentielle de 2022, il lance un “Appel aux Maires” pour recueillir les remontées de terrain des élus locaux et faire entendre leurs doléances et leurs propositions dans le débat public. Rencontre.

La Revue des Territoires : Vous souhaitez faire de la simplification un thème central dans le cadre de la prochaine élection présidentielle. En quoi celle-ci devrait-elle être un sujet prioritaire selon vous ?

Gaspard Koenig : La simplification est généralement la dernière roue du carrosse des programmes présidentiels et gouvernementaux. Le Conseil d’Etat dénonce l’inflation normative depuis 30 ans. Tous les présidents depuis Pompidou disent qu’il faut simplifier, mais personne ne l’a jamais fait jusqu’ici. Pendant ce temps, les normes s’accumulent et personne n’y comprend plus rien. Comme j’ai pu m’en apercevoir lors de mon tour de France, la sur-administration française crée des tragédies dans le quotidien des gens. Sous des formes diverses, la simplification est aujourd’hui le premier sujet de préoccupation des Français.

La simplification est aussi un sujet politique matriciel parce qu’elle suppose de remettre en cause le rapport de l’Etat à l’individu. Ces relations sont très autoritaires, très intrusives et marquées par une certaine forme de défiance. Or, quand on simplifie, on fait confiance à l’individu, à l’entreprise ou à la municipalité pour prendre la meilleure décision pour elle-même. Simplifier, c’est faire confiance aux parties prenantes pour échanger entre elles et fabriquer leur propre norme. Au travers de ce prisme, on traite donc d’énormément de sujets : sécurité, environnement, organisation du territoire, vivre-ensemble. En simplifiant, on donne ainsi un autre esprit à la société. Ce que nous proposons donc, c’est un exercice massif de simplification du droit, à l’instar de ce qu’avait fait Napoléon en 1804 en créant le Code civil.

Avec votre “Appel aux Maires” vous voulez vous adresser entre autres aux élus locaux. Comment les maires ressentent-ils le problème de la complexité administrative ?

Gaspard Koenig : Avec notre “Appel aux Maires”, nous créons un espace où les maires peuvent nous faire part de remontées de terrain et de leurs propositions. Les maires sont en effet aujourd’hui les premiers concernés par la complexité des normes. D’abord parce qu’ils reçoivent les doléances de leurs administrés qui n’en peuvent plus de se rendre à la mairie pour faire des formalités. Ensuite, parce qu’eux-mêmes sont pénalement responsables s’ils ne respectent pas des codes parfaitement illisibles. La complexité est souvent source de stress pour les élus. Pour y faire face, beaucoup de communes dépensent des sommes importantes en honoraires de cabinets de conseil pour s’assurer que leurs plans d’urbanisme sont dans les clous. Quand on n’est pas dans une grande municipalité, qui a les moyens de se faire accompagner par des experts pour comprendre ces normes ou faire des dossiers de subvention, on peut être facilement perdu ou désavantagé.

Comment simplifier concrètement l’exercice du mandat de maire ?

Gaspard Koenig : Simplifier, c’est d’abord donner plus d’autonomie aux élus locaux. Les maires sont très désireux de retrouver une marge de manœuvre. Pour que leur mandat, qui est très important pour notre démocratie, garde son sens, il faut que les maires puissent retrouver une capacité d’agir pour décider avec les citoyens. Sans quoi, le métier de maire est menacé de devenir un “bullshit job”, c’est-à-dire de se contenter d’appliquer des normes qu’on ne comprend pas, en se faisant un simple relais de la bureaucratie. Les élus devraient pouvoir avoir la maîtrise fiscale et réglementaire de leurs territoires, et décider avec leurs administrés ce qui est le mieux pour leur territoire. Je suis donc très favorable au référendum au niveau local, qui ne comporte pas les effets pervers du référendum national. Il s’agit ainsi de tracer un cadre afin de donner aux gens les moyens de trouver les solutions les plus pertinentes sur le terrain, en faisant confiance à l’intelligence collective. Cette approche est très radicale et très ambitieuse. D’une certaine manière, cela revient à clore deux siècles de jacobinisme, en actant que ce système ne marche pas.

La décentralisation est-elle un bon levier pour simplifier ou ne crée-t-elle pas au contraire plus de complexité en multipliant les niveaux de décision ?

Gaspard Koenig : Le problème de la décentralisation telle qu’elle a été mise en œuvre jusqu’à présent, c’est que celle-ci est venue du haut. Tous les dix ans, il y a un nouveau plan et un nouveau mode d’organisation du territoire qui est proposé. On peut faire ça jusqu’à la nuit des temps, mais ça ne peut pas marcher. On voit bien sur le terrain que la décentralisation est hypocrite. Certes, elle redistribue des compétences au niveau local, mais la loi instruit dans le même temps de manière extrêmement précise comment les exercer. La municipalité est devenue dans les faits un opérateur de l’État, sans beaucoup d’indépendance. Par ailleurs, pour avoir les budgets nécessaires à l’exercice de ces compétences, il faut toujours en revenir à l’échelon supérieur. Avec la suppression de la taxe d’habitation, il n’y a quasiment plus de fiscalité locale. Donc d’un côté, les maires doivent comprendre ce qu’ils peuvent faire, de l’autre ils doivent remonter vers le haut pour demander de l’argent pour le faire. C’est décentralisé, mais tout passe quand même en amont et en aval par l’Etat.

Comment aller plus loin dans le processus de décentralisation ?

Gaspard Koenig : Il faut maintenant passer de la décentralisation à l’autonomie. On parle beaucoup d’autonomie pour l’Outre-mer ou pour la Corse, mais celle-ci doit concerner l’ensemble des territoires. Il faut leur donner des outils pour qu’ils puissent se structurer, mais surtout les laisser ensuite évoluer de la manière dont ils le choisissent, lentement, doucement, en expérimentant et en revenant si besoin en arrière. Le revenu universel est un bon exemple de ce qu’une collectivité pourrait essayer de faire. Est-ce que ça va marcher ou pas ? Chacun doit faire ses propres expériences, pour construire le modèle qui lui convient le mieux. Aujourd’hui, le cadre n’existe pas pour être autonome tout en restant français et parfaitement intégré dans la communauté nationale.

Faut-il s’attaquer au millefeuille territorial en privilégiant un échelon plutôt qu’un autre ?

Gaspard Koenig : Dans le millefeuille territorial, chacun a une bonne raison de supprimer quelque chose. La mauvaise méthode consiste à dire depuis le haut quels échelons devraient être supprimés et de refaire une énième organisation territoriale qui ne va pas être adaptée à un certain nombre de situations. Que l’on soit dans un département de montagne ou en région parisienne, on n’a pas les mêmes besoins en matière d’organisation.

Nous proposons donc une méthode différente. Chaque territoire devrait pouvoir concevoir son propre modèle d’organisation selon le principe de la « subsidiarité ascendante » : par défaut toutes les compétences reviennent au plus petit échelon, et celui-ci délègue celles qu’il ne veut pas exercer à l’échelon supérieur, avec à la fin, l’Etat qui récupère ce dont personne ne veut. Ce principe devrait produire une France plus diverse, mais dans laquelle les structures administratives viendront du bas. Avoir une diversité de structures dans le pays, de gouvernances territoriales, ce n’est pas grave. Ce serait au contraire une richesse, en permettant à différents modèles socio-économiques d’émerger.

Comment lutter contre la fracture territoriale tout en simplifiant l’organisation du pays ?

Gaspard Koenig : Aujourd’hui, l’opposition n’est plus entre Paris et le reste de la France, mais davantage entre les grandes métropoles et leurs territoires. Les grandes métropoles régionales entraînent une vraie dynamique à leur échelle. Mais elles posent le même problème aux petites communes que Paris vis-à-vis des territoires : comment ne pas être aspiré de ses jeunes, de ses cerveaux et de ses impôts par la grosse communauté d’agglomération ? Pour y répondre, le levier fiscal est important. Donner une vraie capacité à lever l’impôt et à choisir les taux permettrait à des petites communes et à des petits territoires de construire leurs propres modèles.

Il faut aussi rompre avec une certaine manière de voir technocratique. Au nom de l’efficience, on regroupe tout au sein des métropoles, on regroupe l’hôpital, on regroupe les trésoreries. Est-ce qu’on veut forcément être efficient ou est-ce qu’on veut donner aux gens de la liberté ? Avoir une petite structure peut être moins à la pointe technologiquement, c’est peut être moins efficace, mais c’est une manière de réhumaniser le territoire. C’est un vrai choix politique. Il y a un aspect très humain de tout ça qui fait partie du bonheur, des choix de vie et des valeurs, qu’il faut assumer. C’est un choix qu’on devrait laisser aux gens.

La technologie et la dématérialisation peuvent-elles favoriser la simplification ?

Gaspard Koenig : Quand vous êtes complètement dans les cases, la numérisation c’est très bien, et il faut continuer dans ce sens. Mais la dématérialisation des procédures administratives crée aussi énormément d’angoisse sur le terrain. Dès que vous avez une situation un petit peu singulière, ce qui est le cas de tout le monde à un moment donné, cela devient un truc cauchemardesque. Parce que vous n’êtes pas sur la bonne case, vous ne pouvez pas passer à la page suivante. Alors que n’importe quel être humain doué d’un peu de bon sens aurait résolu la situation, celle-ci peut s’éterniser pendant des mois et être assez violente à vivre.

Pour gérer ce type de situation, il faut l’intervention d’un être humain. L’IA est incapable de faire preuve de bon sens, c’est-à-dire d’appréhender un environnement complet. C’est pour ça que nous plaidons pour ouvrir des “Maisons du Citoyen” un peu partout sur le territoire. Dans chacune d’entre elles, il y aura des fonctionnaires avec un pouvoir de décision. En cas de problème, les gens pourront s’y rendre pour rencontrer un agent, échanger sur la situation et trouver ensemble une manière de le résoudre. Avec à la clef, un rescrit administratif témoignant de la décision prise et à présenter en cas de contrôle.. C’est aussi une manière de redonner du sens au métier de fonctionnaire en les remettant sur le terrain et en leur donnant un vrai pouvoir de décision.

Le quinquennat d’Emmanuel Macron, placé sous les auspices d’un nouveau “pacte girondin”, est-il un rendez-vous manqué ?

Gaspard Koenig : Emmanuel Macron ne croit pas au projet décentralisateur. C’est quelqu’un qui est fondamentalement marqué par son passage dans la haute-fonction publique en tant qu’inspecteur des finances. En lieu de décentralisation, c’est une recentralisation fiscale qu’il a opéré en supprimant la taxe d’habitation. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il n’est pas très apprécié des maires.

Emmanuel Macron pense comme la plupart des hommes politiques nationaux que les citoyens laissés à eux-mêmes vont faire n’importe quoi et que les collectivités ne savent pas gérer leur budget. Mais le mécanisme d’incitation est pervers parce que les collectivités gèrent de l’argent qu’elles ne lèvent pas elles-mêmes. On voit bien la difficulté qu’il a à envisager l’autonomie des DOM TOM ou de la Corse. Sur ce dernier dossier par exemple, sa gestion a été un échec total.

Le sujet de la simplification est-il sous-représenté dans le débat public ?

Gaspard Koenig : Il y a une vieille histoire autour de la simplification en France, mais ce n’est pas une histoire qui touche dans sa chair l’élite politico-médiatique. Les gens depuis Paris ne vivent pas ces problèmes au quotidien. Ils ont des professionnels qui font ça pour eux, ils ne sont pas personnellement confrontés au problème. C’est un facteur psychologique mais cela joue aussi dans l’appréciation en problème. Il y a également une absence de remise en cause globale du paradigme jacobin. La gauche n’arrive pas à concevoir que ce gros Etat providence qu’elle a mise en place après la Seconde Guerre mondiale puisse avoir des effets pervers. Pour elle, ces problèmes sont marginaux. Elle ne voit pas le côté fondamental du problème, parce que celui-ci touche la structure même de l’Etat.

Du côté des médias, il y a aussi un désintérêt pour la simplification, qui est perçue comme un sujet laborieux et manquant de romantisme. La question n’est jamais posée non plus par les sondeurs. Quand je fais une radio pour en parler, les journalistes me répondent que ce n’est pas un sujet très intéressant avant de s’apercevoir que le standard téléphonique est saturé. La simplification est un grand thème, mais il n’a pas été construit comme tel dans le débat public.

Qu’attendez-vous de cette élection présidentielle ?

Gaspard Koenig : Je continue à être hostile au principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel, puisque cela rend très difficile les débats de fond et nuancés. La campagne présidentielle porte trop sur les personnes et pas assez sur les projets Mais les choses sont ainsi faites. Pour faire émerger une nouvelle voie politique, il faut le faire dans la dynamique de l’élection présidentielle, pour imposer ces thèmes-là, au moins dans le débat.

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