Maire de Plaisance, une commune de 202 habitants dans la Vienne, Aurélien Tabuteau s’engage résolument dans la transition énergétique de son territoire. Depuis 2014, l’élu multiplie les initiatives pour concilier sobriété environnementale, finances locales et cadre de vie de ses administrés. La création de Plaisance Green, une société dont la commune est associée, ouvre la voie à un partenariat public-privé sans précédent en matière de production d’énergies renouvelables. Aurélien Tabuteau et Philippe Moreau, gérant du bureau d’étude accompagnateur du projet Plaisance Green, racontent leur histoire.
La Revue des territoires – Il s’agit de votre deuxième mandat en tant que maire de Plaisance. Quelles ont été les mesures déployées entre 2014 et 2020, avant que vous n’initiiez le projet Plaisance Green ?
Aurélien Tabuteau – En 2014, nous étions dans un contexte de forte baisse des dotations destinées aux collectivités. Nous avions un déficit d’investissement de 65 000 € et un excédent de fonctionnement de 19 000 €. La situation de la commune était dégradée, entre des inondations dues à l’assainissement, une salle des fêtes à remettre aux normes, un aménagement global à repenser et une motivation en berne de notre personnel municipal.
Nous avons commencé par soutenir notre employé technique, en investissant 180 000 € dans le renouvellement du matériel. Dès cet instant, nous avons décidé de nous diriger vers la transition écologique. C’est ce que nous avons fait en remplaçant notre Express par un véhicule électrique. Grâce aux aides de l’époque, le coût de l’opération ne s’est élevé qu’à hauteur de 4 500 €, sans compter les économies de fonctionnement générées. De même, nous avons acquis une balayeuse – d’abord thermique, puis électrique. L’idée était de faciliter le travail de notre personnel, tout en nous inscrivant dans une démarche respectueuse de l’environnement.
Nous avons également rénové notre salle des fêtes, en travaillant notamment sur son isolation et en utilisant une pompe à chaleur à la place des aérothermes préexistants. Notre maison de la poste a, elle aussi, fait l’objet d’une rénovation complète et nous en avons fait deux logements. De plus, nous avons installé des panneaux solaires sur le toit de la mairie, dans le but de réduire la facture énergétique de la commune et de faire de l’autoconsommation. Le photovoltaïque permet ainsi d’alimenter l’hôtel de ville et la recharge du véhicule électrique. Et 200 m2 de panneaux de ce type avaient été posés avant 2014 sur le toit de notre local technique, afin de générer des recettes.
La RDT – Comment vos choix ont-ils été guidés ? Est-ce par conscience écologique ou davantage par souci budgétaire ?
A. T. – C’est tout simplement du bon sens. Quand il vous est proposé de recourir aux énergies renouvelables, qui au bout du compte sont moins chères que des matières fossiles et génératrices de revenus supplémentaires, le choix est rapidement fait. La transition écologique doit être menée. Nous ne pouvons pas continuer nos modes de consommation actuels et il nous appartient de trouver des solutions.
Par ailleurs, nous nous sommes rendus compte d’une réelle adhésion des habitants. Le seul blocage psychologique qui peut perdurer, à tort, porte sur le coût financier de la transition. Preuve que les consciences évoluent, nous sommes en train d’aménager un cimetière naturel. Il y a trois ans, quand je présentais le projet, les habitants étaient très sceptiques. Aujourd’hui, certains annulent des concessions dans l’ancien cimetière pour réserver un emplacement dans le nouveau. C’est une façon de lutter contre la bétonisation des espaces naturels.
La RDT – Vous portez, à l’occasion de votre deuxième mandat, un projet encore plus ambitieux nommé Plaisance Green. Quel est le but poursuivi au travers de cette initiative ?
A. T. – Nous avons, à Plaisance, une problématique de logements et notre but est d’en créer. Nous avons fait des estimatifs et le budget, pour construire 17 logements supplémentaires, s’élève à 2,5 millions d’euros. La question est la suivante : comment faire pour financer une telle enveloppe ? Dans un premier temps, nous avons étudié l’option du photovoltaïque. Pour couvrir nos besoins de financement par ce biais, il faudrait installer environ 4 500 m2 de panneaux solaires. Ensuite, nous avons rencontré une société spécialisée dans l’éolien qui développe un projet dans la commune. J’ai demandé le coût d’une éolienne et les recettes associées. C’est là que tout a commencé, puisque j’ai appris qu’en investissant 12,5 millions d’euros dans la construction de deux éoliennes, la commune serait en mesure de totalement s’autofinancer.
J’ai souhaité creuser cette piste, car nous devons être acteurs et modèles pour les habitants. Nous ne pouvons pas exiger la transition énergétique si nous-mêmes, en tant que collectivités, ne prenons pas ce virage-là. Mon objectif a été d’autofinancer la commune grâce à la production d’énergies renouvelables, afin de permettre la construction de nouveaux logements et le déploiement de services pour les habitants. Avec l’appui de Philippe Moreau, nous avons structuré un plan d’actions et avons identifié une loi, de décembre 2019, permettant à la commune de créer une société ayant pour objet la prise de participation dans des projets d’énergies renouvelables. Sauf que nous ne sommes pas juristes…
Philippe Moreau – La problématique des petites communes est qu’un projet de cette envergure exige de nombreuses compétences. En zone rurale, le maire est un chef d’orchestre sans musiciens. Il a des solistes – ses conseillers municipaux – mais il n’a pas d’orchestre et doit se débrouiller seul. La société Plaisance Green est aujourd’hui créée, mais le chemin n’a pas été facile.
A. T. – Nous avons donc fait appel à un cabinet d’avocats, Fidal, et avons constitué une société d’un type inédit en France : une SAS (société par actions simplifiée) dont la seule vocation est d’entrer au capital de projets de parcs éoliens et d’autres énergies renouvelables. Cette SAS est constituée de deux associés fondateurs, que sont la commune et le bureau d’étude dont Philippe Moreau est le gérant (Théon Innovation).
La RDT – Pouvez-vous décrire les projets auxquels la commune prend part, par le truchement de la société Plaisance Green ?
A. T. – Nous avons un parc éolien naissant à Plaisance et nous en sommes entrés au capital. Ce qui nous intéresse, c’est d’intégrer les énergies renouvelables dans notre quotidien, en veillant à ce que cela soit accepté par tous. La Covid a joué un rôle de révélateur : il faut penser autrement et valoriser notre environnement local, pour redonner du pouvoir d’achat aux habitants. Augmenter les impôts, c’est facile. Trouver des solutions, c’est autre chose.
En plus de l’éolien, nous visons donc le développement de nouveaux projets photovoltaïques sur des espaces agricoles, via Plaisance Green. Il faut que ces panneaux soient à la fois productifs, en termes d’électricité, et porteurs de valeur ajoutée pour les agriculteurs dont les cultures se trouvent en-dessous. Pour cela, les panneaux sont dirigés par des algorithmes qui tiennent compte des besoins de la terre : par exemple, si elle a besoin d’eau et qu’il pleut, les panneaux s’ouvrent pour permettre sa parfaite hydratation.
P. M. – L’enjeu est aussi, au travers de ces projets agrivoltaïques, de valoriser nos productions d’excellence. Nous avons la chance d’avoir une filière de qualité avec l’agneau du Poitou-Charentes. L’agrivoltaïque est une façon d’œuvrer au maintien des cheptels et de répondre à la problématique de la sécurité alimentaire. La première qualité d’un homme politique doit être de regarder autour de lui et de promouvoir la richesse de son environnement immédiat. Nous sommes au démarrage de ce projet. Il inclura la constitution d’un démonstrateur de trois à quatre hectares, car nous nous inscrivons pleinement dans une logique d’innovation. Enfin, nous travaillons sur un projet d’hydrogène avec une famille d’agriculteurs, où les intrants seront des déchets carbonés et non biosourcés.
La RDT – Dans la brochure de présentation de Plaisance Green, vous déplorez le sentiment diffus d’être considérés comme des « sous-territoires ». Est-ce une façon pour vous de valoriser la ruralité et de prouver que les processus de désertification ne sont pas irrémédiables ?
A. T. – Depuis 2014, je me bats pour montrer qu’une commune de 200 habitants peut aussi réaliser de grandes choses. Par exemple, avec toutes nos associations locales, nous avons créé en 2017 Plaisance en fête. Aujourd’hui, c’est une fédération qui rassemble plus de 12 500 personnes autour de concerts et d’autres événements. Tout repose sur l’envie que l’on décide d’y mettre. Mais cela exige beaucoup de travail, parce que les équipes sont moins fournies qu’ailleurs.
Nous sommes à mi-chemin entre deux métropoles, Poitiers et Limoges. Si, demain, notre commune rurale produit de l’hydrogène, elles pourront s’approvisionner directement auprès de nous pour faire fonctionner leurs véhicules. C’est un moyen de recréer des connexions entre les espaces ruraux et urbains.
P. M. – S’il n’y avait pas eu la volonté d’un maire, nous n’en serions pas arrivés là. Cela aurait pu être plus facile avec des démarches simplifiées. L’administration constitue toujours un facteur de ralentissement des projets. Quand une agence de développement se contente de vous adresser des noms de bureaux d’étude, je m’interroge : à quoi sert cette structure ? C’est le problème de la France.