Alain Jean
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Alain Jean (Rezo Pouce) : les collectivités à l’heure de l’autostop et du covoiturage solidaire

Investi dans le champ des mobilités alternatives, Rezo Pouce œuvre à la diffusion de la pratique de l’autostop et du covoiturage citoyen au sein des collectivités. Cet acteur de l’économie sociale et solidaire, d’abord organisé sous la forme d’une association et d’une coopérative, vient de fusionner avec Mobicoop dans le but de poursuivre son développement. Fondateur de Rezo Pouce et ancien élu local, Alain Jean témoigne de la nécessité de faire évoluer les modes de déplacement jusqu’au cœur des territoires ruraux.

La Revue des territoires – Comment vous est venue l’idée de croiser autostop et covoiturage, à l’origine du succès de Rezo Pouce ?

Alain Jean – Élu pendant 19 ans à Moissac, j’étais en charge du développement durable. L’une de mes préoccupations portait ainsi sur la mobilité des jeunes et cela m’a amené à vouloir réhabiliter l’autostop. Nous avons travaillé avec une dizaine de communes autour de Moissac, à partir de 2010, pour lever les freins liés à cette pratique. C’est-à-dire la rendre plus accessible et mieux visible. L’objectif ayant été d’en faire un moyen de déplacement courant, tout en conservant ses qualités en matière de partage et de solidarité.

Rapidement, notre initiative a pris de l’ampleur en rassemblant dès 2011 une soixantaine de communes – dont le Grand Montauban. En 2012, nous avons créé une association de collectivités pour porter le projet et le diffuser au-delà du Tarn-et-Garonne. Puis s’est ajoutée, en 2015, une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Notre SCIC s’est développée jusqu’à compter environ 3 000 communes et employer onze salariés. Enfin, nous avons fusionné en juin dernier avec la société Mobicoop, pour former une grande SCIC de la mobilité partagée et additionner nos savoir-faire, avec une trentaine de collaborateurs et des perspectives d’embauche.

S’agissant de son fonctionnement, le dispositif Rezo Pouce consiste en une solution d’autostop particulièrement efficace : nos utilisateurs attendent en moyenne six minutes. 90 % d’entre eux ne patientent d’ailleurs pas plus de dix minutes. Les usagers se placent à un arrêt sur le pouce, sur le modèle de ce qui est fait par les collectivités pour les lignes de bus. Si vous êtes en voiture et que vous apercevez quelqu’un en train de patienter à un tel arrêt, la pratique démontre que vous êtes beaucoup plus enclin à vous arrêter. Nous nous sommes également dotés d’une application qui permet de gérer soit des déplacements réguliers, soit des trajets anticipés. Les deux aspects, arrêt d’autostop et application de covoiturage, sont tout à fait complémentaires.

Mobicoop a développé, de son côté, une plateforme gratuite pour effectuer des déplacements nationaux. Aucune marge n’est retenue sur aucune de nos plateformes : les échanges financiers s’effectuent en totalité entre le conducteur et son passager. Avec la fusion, c’est l’ensemble de ces services que nous sommes désormais en mesure de proposer. En outre, certains territoires, actionnaires de notre coopérative, nous ont demandé de réfléchir à une solution de mobilité pour les personnes âgées. Nous avons donc conçu Rezo Séniors, afin de permettre à ce public d’avoir une vie sociale et de se rendre chez le coiffeur, sur le marché, etc. Cet outil fonctionne sur la base du bénévolat et de la solidarité. Il est complémentaire au transport à la demande (TAD).

La RDT – Comment parvenez-vous à articuler vos solutions avec les autres modes de transport, déployés par les collectivités ?

A. J. – C’est l’un des apports de la fusion avec Mobicoop, puisque les plateformes développées sont accessibles en open source. Mobicoop avait participé à l’émergence de la norme RDEX [NDLR : Ridesharing Data Exchange], qui permet d’échanger des données entre différents acteurs de la mobilité. Du côté de Rezo Pouce, certains actionnaires de la SCIC tels que la Macif ou Transdev ont aussi porté cette préoccupation de l’interopérabilité. Avec la fusion, nous sommes en mesure d’échanger les offres et les demandes de déplacement entre les plateformes qui le souhaitent.

En dehors de cet aspect numérique, nous installons nos panneaux et nos arrêts d’autostop en sortie de ville, là où commencent les transports publics. L’autostop est moins pertinent dans les zones très urbanisées où il vaut mieux utiliser les modes existants ou l’application. Notre but est de pouvoir acheminer les personnes aux abords des métropoles, d’où l’existence de complémentarités intéressantes. L’ADN de Rezo Pouce est de travailler à l’échelle des communautés de communes et d’agglomération, plus qu’à un niveau régional ou national.

La RDT – Observez-vous, sur le terrain, une si grande fracture entre espaces urbains et ruraux dans le domaine des mobilités ?

A. J. – Je tiens d’abord à préciser que la fusion ne change rien à notre volonté de continuer à nous implanter en zone rurale et périurbaine. C’est en effet le cœur de notre mission. Notre partenaire, la Macif, nous accompagne pour nous permettre de nous y déployer plus fortement encore. Bien évidemment, ces territoires ruraux et périurbains souffrent d’une fracture par rapport aux espaces urbains, malgré la loi LOM. Celle-ci donne des ouvertures et des prises de compétence, mais cela n’a pas toujours été bien compris. La loi LOM permet aux régions et aux collectivités de travailler en complémentarité, afin de renforcer les actions menées aux différents niveaux.

Dans beaucoup de situations, la clé réside dans des actions d’animation à conduire au plus près des territoires. Nous avons ce que nous appelons des animateurs de transition, qui ont une compétence particulière pour accompagner les changements de comportement dans les mobilités. Cela veut dire déployer des vidéos, des fiches actions, des webinaires de formation pour nos relais dans les territoires (clubs sportifs, établissements culturels et autres), etc. Il y a un réel besoin d’accompagnement. Nous ne mettons pas seulement à disposition des panneaux ou une application, mais nous menons également directement auprès des habitants des actions d’animation. Cela peut prendre la forme de baptêmes d’autostop, par exemple.

Le sens de notre démarche est de favoriser la constitution de petites communautés locales, à la fois solidaires et bienveillantes. Les utilisateurs de notre application ont notamment la possibilité de créer des hashtags autour d’un événement tel qu’un entraînement de foot : toutes les personnes intéressées sont notifiées dès qu’une offre de déplacement est publiée. Il en va de même pour les parents d’élèves qui peuvent se retrouver autour du hashtag de leur école.

La RDT – Les collectivités sont-elles de plus en plus demandeuses de solutions de transport relatives à l’autostop ? Est-ce un mouvement qui progresse dans nos territoires ?

A. J. – Notre positionnement est un peu particulier puisque nous ne menons pas d’opérations commerciales. De fait, nous ne démarchons pas les collectivités : elles nous contactent d’elles-mêmes pour demander des informations sur notre dispositif. Les échanges sont donc concluants dans 80 % des cas. Notre gestion mesurée ne nécessite pas de lever des millions d’euros et notre approche relève de l’économie sociale et solidaire.

Nous refusons pour notre part la marchandisation du covoiturage : c’est un enjeu à nos yeux de solidarité et de service public. Aussi demandons-nous aux collectivités de prendre en charge une telle offre de transport. En moyenne, la mise en place d’un dispositif de ce type représente 5 000 € par an pour une communauté de communes. Le coût n’est pas tellement prohibitif : à titre de comparaison, une ligne de bus coûte entre 150 et 200 000 € par an. Les investissements sont peu importants. De plus, nous formons des acteurs, présents dans les territoires, destinés à devenir des animateurs de la mobilité. Notre action a ainsi contribué à la création de plus de 150 emplois dans les collectivités.

La RDT – Il est beaucoup question dans les médias du sujet de la transition, qu’elle soit écologique ou énergétique. Vous soulignez, de votre côté, l’importance d’une « transition comportementale ». Rezo Pouce existe depuis maintenant plus de dix ans : avez-vous observé des changements de comportement chez les conducteurs et leurs passagers ?

A. J. – Alors oui, les choses évoluent bien que lentement. Mais je suis toujours surpris de voir que nous obtenons un même niveau d’efficacité au travers de nos solutions d’autostop, quelle que soit la collectivité où nous les mettons en place. Que l’on soit au milieu du plateau du Larzac ou à proximité d’une route très fréquentée de Toulouse, les temps d’attente se situent systématiquement aux alentours des six minutes. Cela signifie que les individus sont prêts à adopter des pratiques dès lors qu’elles sont simples et accessibles.

Le comportement des conducteurs se trouve en quelque sorte « sous cloche ». Si on leur donne la possibilité de traduire leur solidarité en accueillant des autostoppeurs, ils s’en saisissent presque naturellement. Nous l’avons aussi observé à l’occasion de cette année de Covid, particulièrement dans le monde rural. Cela passe par des actions de communication, d’accompagnement et d’animation. L’exemplarité est un puissant moteur. Jamais, dans nos dix années d’existence, nous n’avons connu de problèmes humains ou relationnels avec l’autostop. Cela encourage forcément les uns et les autres à s’inscrire et à essayer par eux-mêmes.

Dans le domaine de la psychologie, les professionnels ont recours à des « nudges ». Ce sont des éléments physiques ou des informations qui incitent les gens à faire une action inconsciemment plutôt qu’à les y contraindre. Nos arrêts sur le pouce en constituent un exemple. Cela rassure les conducteurs et leur donne l’idée de s’arrêter, alors qu’ils ne le feraient pas en temps normal. Alors oui, il y a bien un changement de comportement mais il faut l’accompagner.

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