François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône (Groupe Libertés et Territoires, opposition), souhaite demander le retrait des produits AOP, IGP et Label Rouge du système d’étiquetage Nutri-Score, un outil « parcellaire et biaisé », qui handicape selon lui les produits locaux et les filières d’excellence française. Nous avons interrogé l’élu quelques jours après son intervention sur le sujet dans l’Hémicycle.
Le Nutri-Score est aujourd’hui rentré dans les usages des consommateurs français. Avec le recul, que pensez-vous de ce système d’étiquetage nutritionnel ?
François-Michel Lambert : Je m’inquiète toujours de cette idée selon laquelle on attend que le consommateur fasse le bon choix et soit en mesure tout seul de séparer le bon grain de l’ivraie. Si c’était si facile, cela ferait longtemps que les consommateurs auraient adopté des habitudes plus positives. Le Nutri-Score apporte de l’information, mais ce n’est pas une panacée. La politique ne doit pas abandonner le terrain face à un outil dont on voudrait faire l’alpha et l’oméga. On demande aux consommateurs de passer de plus en plus de temps pour obtenir de l’information, mais trop d’information tue l’information. Par ailleurs, il faut s’inquiéter des effets pervers, et notamment de l’effet rebond, avec le Nutri-Score. Le consommateur va acheter du Carré Frais Gervais 0% à la place de Camembert ou de Roquefort car le Nutri-Score est meilleur, mais du coup se disant qu’il a « gagné en santé » d’un côté il peut s’offrir un petit plaisir de l’autre comme un pot de Nutella ou une barre Kinder. C’est ça l’effet rebond, et c’est extrêmement bien documenté.
En quoi les produits locaux sont-ils désavantagés face aux produits industriels ? Cela représente-il un risque pour certaines filières ?
FML : L’impact négatif sur les petits producteurs est incontestable. La mère de famille qui va faire ses courses, cherche à préparer un plat équilibré en fonction des chiffres du Nutri-Score, mais va également acheter des produits pour les petits plaisirs post-repas avec l’effet rebond dont on a déjà parlé. Donc, elle va acheter des produits industriels ayant un bon Nutri-Score, plutôt que de faire une blanquette de veau, ou d’acheter des fromages AOP, puis aura tendance à privilégier des Kinder plutôt que des pommes séchées par exemple. On demande aux consommateurs de faire trop d’arbitrages et cela a des effets pervers, notamment de sacrifier les produits locaux. Les produits AOP et IGP ont très majoritairement des notes Nutri-Score mauvaises parce que ce système ne prend pas en compte les terroirs sur lesquels on les cultive, les process de transformation, le savoir-faire. L’excellence des produits locaux n’est pas du tout prise en compte par le Nutri-Score, qui n’est que le résultat d’un test de laboratoire sur quelques paramètres (gras, sucré…) seulement mais pas sur les problématiques de santé dans leur ensemble. Au début de la législature, je m’étais battu contre les produits ultra-transformés, et sur ce plan-là, rien ne bouge. On sait pourtant que les produits ultra-transformés sont moins bons pour la santé que des produits locaux, même si ces derniers ont un moins bon Nutri-Score. C’est la conjonction des deux (confiance aveugle dans le Nutri-Score et augmentation des produits ultra-transformés, NDLR.) qui m’inquiète. Notre corps transforme plus facilement le gras que des produits ultra-transformés probablement nocifs pour la santé. Et on ne parle même pas des additifs. Plus on mélange de choses, plus on prend de risques dans un corps qui n’est pas fait pour ces mélanges artificiels.
Le Nutriscore a fait l’objet de résistances au départ, mais semble globalement adopté désormais. Comment expliquez-vous cette évolution ?
FML : Cela arrange les industriels car ce sont ceux qui peuvent le mieux naviguer dans les écueils du Nutri-Score. Ils peuvent facilement changer leurs recettes et les formules de leurs produits pour améliorer leur note, à la différence des producteurs par exemple de foie gras ou de fromage qui respectent des recettes historiques qui font la force de nos territoires. De plus, les petits producteurs ne peuvent pas créer un écran de fumée par la communication et la publicité contrairement aux industriels. Le Nutri-Score ne fait pas baisser les ventes de Kinder ou de Nutella.
Vous avez récemment interpellé le gouvernement à l’Assemblée nationale sur la question du Nutri-Score. Quelle a été la réponse de l’exécutif à votre interpellation ?
FML : J’avais déjà évoqué la question de l’origine des produits alimentaires lors des débats sur la loi climat, mais le sujet avait été évacué. J’avais demandé que tout produit alimentaire ayant le label Origine France, soit composé d’au moins 50% d’ingrédients d’origine française. Cela a été refusé. Je pense qu’il y a un poids implicite des lobbies sur ces questions. Et lors de ma question en novembre, la réponse de la ministre m’a abattu. J’ai eu l’impression que le message était qu’on n’y pouvait pas grand-chose. Je suis assez inquiet pour les produits locaux.
Comment améliorer le Nutri-Score ou quelles solutions alternatives adopter ?
FML : L’urgence c’est de sortir tous les produits AOP, IGP et Label Rouge du Nutri-Score. 93% de ces produits sont classés D ou E ! Je vais demander, avant Noël, que la France s’engage sur ce point lors de la présidence française de l’UE, puisque c’est un sujet européen. Est-ce qu’on va réussir ? Cela dépend du gouvernement et s’il a envie de se battre pour les produits locaux. C’est pourtant une priorité pour tous les territoires. C’est le cas par exemple pour un département comme le Gers, qui soit dit en passant est le département où l’on vit le plus longtemps malgré les mauvaises notes Nutri-Score du foie gras ! Il faut protéger les produits locaux et les filières d’excellence. De manière plus globale, il faut se méfier de ces scores qui engendrent toujours un effet rebond et qui ne prennent en compte que des données parcellaires. On note le même problème avec l’éco-score, qui ne prend pas en compte les émissions de CO2 lors du transport final des marchandises. Ces scores sont par nature biaisés. Enfin, je suis très dubitatif face aux politiques qui s’effacent derrière les consommateurs et qui leur demandent de faire eux-mêmes les arbitrages. Ça ne marche qu’à la marge, jamais à l’échelle des problèmes.
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