Christian Paul
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Christian Paul : « La vaccination se poursuit à bas rythme »

Christian Paul, président du Pays Nivernais Morvan et ancien ministre, s’est adressé début février à l’Agence régionale de santé (ARS) pour demander des équipes mobiles de vaccination à l’échelle de son territoire. Son appel a été entendu, puisqu’une expérimentation sera menée, à compter du 15 mars prochain, pour mener des vaccinations à domicile dans la partie est de la Nièvre. L’occasion de revenir sur la façon dont se déploie la campagne vaccinale en France.

La Revue des territoires – Votre courrier envoyé à l’ARS, demandant des équipes mobiles de vaccination dans le Pays Nivernais Morvan, a été suivi d’effet. Pourquoi avoir formulé cette demande ? Et comment comptez-vous mettre en place, à partir de mi-mars, le dispositif de vaccination à domicile qui est désormais annoncé ?

Christian Paul – Avant toute chose, la principale difficulté aujourd’hui porte, dans la Nièvre comme ailleurs, sur la pénurie de doses de vaccin. Nous sommes pourtant à un moment où il faudrait engager massivement la vaccination. Nous restons sur des volumes de doses totalement insuffisants pour pouvoir mener, à bon rythme, une vaccination de nature à endiguer la pandémie. Il faut avoir en tête ce repère essentiel avant d’aborder la suite. 

Pourquoi avoir demandé la vaccination à domicile ? Il y a une difficulté toute particulière dans la vaccination de personnes qui peuvent être soit très âgées, soit atteintes de maladies graves entravant leur déplacement (hémiplégie, alitement, etc.). C’est-à-dire des personnes qui sont dans une grande difficulté de mobilité et ne peuvent pas se rendre dans les centres de vaccination.

C’est à elles que nous avons pensé, car ces personnes sont souvent isolées mais également exposées. Elles reçoivent la visite d’aides-soignants, d’aides-ménagères, de médecins, de kinés, de leur famille et de leurs voisins. Même s’il y a un isolement géographique, ces personnes ne vivent pas dans une bulle. Il faut donc qu’elles puissent être vaccinées. C’est important pour elles-mêmes et pour le moral de leur famille. Il faut une réponse à ce qui a été, de fait, une interdiction d’accéder à la vaccination. Cette situation est absolument insupportable, d’un point de vue à la fois médical et moral.

Maintenant, comment allons-nous procéder ? Il y aura des doses réservées. Sur le Pays Nivernais Morvan, nous comptons quatre centres de vaccination : chaque semaine et dans chacun de ces centres, à partir du 15 mars, une douzaine de doses sera réservée à des vaccinations à domicile. Cela représente cent vaccinations de ce type sur la première quinzaine de l’expérimentation.

Il est bien sûr difficile d’évaluer la totalité des personnes qui ne peuvent pas se déplacer, mais nous estimons ce nombre entre 300 et 400 sur notre territoire. Cela signifie que, sur la première quinzaine, nous pouvons parvenir à vacciner un quart de la population que nous souhaitons atteindre. À partir du 1er avril, le nombre de vaccins dans la Nièvre doit être augmenté et il est évident que nous pourrons effectuer davantage de vaccinations à domicile.

Concrètement, ce sont les médecins traitants et les mairies qui communiqueront aux centres de vaccination les listes des personnes ne pouvant pas se déplacer. Les tournées seront effectuées par un médecin, qui doit procéder aux consultations préalables, accompagné d’un infirmier qui peut vacciner ou d’une personne pour accomplir les tâches administratives. À leur retour, les équipes mobiles devront renseigner les données permettant de suivre l’avancée de la vaccination. Les tournées partiront des centres de vaccination, là où arrivent habituellement les doses. Les véhicules seront mis à disposition par les mairies ou les centres sociaux. Nous n’avons aucun problème, localement, à trouver les véhicules et les soignants nécessaires aux tournées. Il fallait en revanche avoir le feu vert de l’ARS.

La RDT – En lien avec cet enjeu d’équité d’accès au vaccin, vous écriviez dans votre courrier que certaines personnes se trouvent à deux heures de route (aller-retour) du centre de vaccination le plus proche. N’y a-t-il pas un nombre insuffisant de centres de vaccination ouverts ? 

C. P. – Vous avez raison, c’est un autre sujet mais il est tout aussi important. Dans les territoires ruraux de moyenne montagne, comme le Morvan, nous recensons des villages qui se trouvent à quarante ou cinquante kilomètres du centre de vaccination. Pour une personne âgée, cela veut dire environ une heure de route à l’aller et une autre au retour. C’est pour cela qu’il faut impérativement multiplier les points de vaccination, dès que l’on pourra avoir davantage de doses et dont la logistique est plus simple que le Pfizer de première génération. Je pense aux maisons de santé pluridisciplinaires et aux pharmacies.

Par exemple, le territoire du Pays Nivernais Morvan rassemble 200 communes et 60 000 habitants, pour quatre centres de vaccination. Il est clair que, si nous pouvions ajouter une dizaine de maisons de santé et une douzaine de pharmacies, nous multiplierions très largement le nombre de vaccinations. Et nous réduirions d’autant le délai d’accès des personnes à ces points de vaccination.

La RDT – Fabien Bazin, maire de Lormes (Nièvre), nous indiquait fin janvier des manques substantiels en termes de doses et de matériel. Votre propos liminaire semble confirmer cela. Nous sommes désormais fin février : la campagne vaccinale ne se déroule-t-elle pas mieux qu’il y a quelques semaines ?

C. P. – Il y a, dans la Nièvre, 30 000 personnes âgées de plus de 75 ans. Aujourd’hui, 3 200 ont été vaccinées. Par ailleurs, toutes n’ont pas reçu de seconde injection. Actuellement, nos centres de vaccination sont concentrés sur cette deuxième injection et les primo-injections ont dû être décalées faute de vaccins. La situation est très préoccupante. La vaccination se poursuit, évidemment, mais à bas rythme. Alors qu’elle devrait être beaucoup plus intensive, pour protéger les gens eux-mêmes et endiguer la pandémie. Nous parlons de couvre-feu et de reconfinement local, mais la bataille principale est celle de la vaccination.

La RDT – Des élus pointent du doigt une inégale répartition des doses de vaccin, d’un territoire ou d’un département à l’autre. Partagez-vous le sentiment que le principe d’équité territoriale ne serait pas pleinement observé ?

C. P. – Ce point relève d’un pilotage national d’abord, régional ensuite. Je n’ai donc pas la vision globale pour pouvoir répondre. Maintenant, je constate de fortes disparités dans la répartition initiale. Tout le monde a en ligne de mire le début du mois d’avril, date à laquelle une multiplication du nombre de doses est promise. Ce sera de nature à relancer les centres de vaccination avec des quantités plus importantes. Aujourd’hui, la plupart de ces centres ne fonctionnent pas toute la semaine puisqu’ils n’ont pas de doses pour procéder aux injections. Ils sont souvent opérationnels deux à trois jours par semaine. Nous avons tout à fait les moyens de vacciner plus : c’est un problème de doses, et non de soignants ou d’infrastructures.

La RDT – S’agissant des relations entre l’État et les territoires, estimez-vous que le pouvoir central n’a pas fait suffisamment confiance aux élus locaux ? Voyez-vous une forme de défiance de l’un vis-à-vis de l’autre ?

C. P. – Avant la pandémie, la relation entre les Français et le pouvoir central était déjà dégradée, de même qu’entre les élus et l’État. Si l’on regarde l’étude du Cevipof relayée dans Le Monde, nous constatons ce climat de défiance en France, plus qu’ailleurs en Europe. La pandémie arrivant sur un terrain déjà miné, il y avait peu de chances que la situation ne se rétablisse. La situation dont on rêve est celle d’une relation confiante, productive et créative entre les différents niveaux de l’action publique. Or, on voit que la discussion est difficile avec l’État et que la confiance n’est pas au rendez-vous.

Cela ne veut pas dire que l’on ne parvient pas à faire des choses ensemble. La preuve en est, avec cette expérimentation de vaccinations à domicile. C’est une demande qui vient du terrain, d’une collectivité, à laquelle l’ARS a donné raison. En huit jours, nous nous sommes mis d’accord.

Mais je trouve qu’il peut y avoir, d’une façon générale à l’égard des collectivités, une forme d’infantilisation et d’excès d’autoritarisme dans de nombreux domaines, y compris sanitaires. Et la discussion confiante et bienveillante, qui devrait être la règle, n’existe pas toujours. Il faudra procéder, après la pandémie, à un examen de conscience collectif. L’enjeu sera de tirer des enseignements de cette période détestable.

La RDT – Avant que la campagne vaccinale ne débute, de nombreux Français se disaient réfractaires à l’idée de recevoir une injection. Quelle perception ont aujourd’hui vos concitoyens de la vaccination ? Ressentez-vous un élan, un optimisme, une envie de se faire vacciner ?

C. P. – Il y a tout cela à la fois. Les mots que vous employez sont forts et justes. Je les reprends volontiers. À l’heure actuelle, nous avons davantage un problème de pénurie que de refus de la vaccination. Les centres ont été largement pris d’assaut. Il a même fallu organiser des files d’attente et déprogrammer certaines vaccinations. On ne manque pas de volontaires. Plus globalement, je pense que les Français, notamment les personnes âgées, souhaitent très majoritairement se faire vacciner. C’est à cela qu’il faut répondre.

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