Marc Mossalgue est responsable de la communication d’Énergie Partagée, un mouvement qui accompagne, finance et fédère les projets citoyens de production d’énergies renouvelables. Il partage, auprès de La Revue des territoires, sa vision d’une transition énergétique et citoyenne.
La Revue des territoires – Quelle est l’histoire d’Énergie Partagée ? De quelle façon est-il possible de rendre citoyens les processus de transition énergétique ?
Marc Mossalgue – Énergie Partagée est née au début des années 2010. Elle a été un point de convergence entre des acteurs de la transition énergétique de terrain, de jeunes collectifs porteurs de projets locaux et des spécialistes de la finance solidaire (la Nef et le Crédit coopératif). Ensemble, ces organismes ont édité une charte pour permettre un développement des énergies renouvelables en harmonie avec les attentes locales des citoyens.
L’idée sous-jacente est que la transition énergétique, indispensable, ne pourra s’effectuer qu’avec l’aval des citoyens et des territoires. Il fallait, pour cela, trouver un moyen de les y associer et d’en faire des acteurs à part entière, directement bénéficiaires des bienfaits des énergies renouvelables. À l’époque, nous souhaitions accélérer le développement de ces énergies et trouver les moyens de le maîtriser au bénéfice du local. C’est pour cette raison que nous avons pris les devants, afin que les équilibres économiques et de gouvernance soient favorables aux territoires.
D’une part, nous accompagnons, formons et sensibilisons depuis onze ans les territoires à la transition énergétique citoyenne. Nous disposons d’un vaste réseau d’animation partout en France et sommes soutenus par l’Ademe. D’autre part, nous avons créé une seconde structure dédiée au sujet de l’investissement (Énergie Partagée Investissement). Il s’agit d’une société foncière qui émet des actions. Tout citoyen peut en acheter. Grâce aux montants collectés, nous constituons des fonds pour investir dans des projets d’énergies renouvelables.
La RDT – Les initiatives énergétiques et citoyennes sont-elles en train de se généraliser en France ? Ou ne sommes-nous qu’aux prémices d’un mouvement destiné à prendre de l’ampleur ?
M. M. – Les deux. Le phénomène est conséquent, d’ores et déjà, dans le sens où de plus en plus de collectivités sont au courant de la possibilité d’investir dans des projets énergétiques locaux. Cela ne leur est possible que depuis la loi de transition énergétique de 2015. La courbe d’information, de compréhension et d’apprentissage des territoires est donc croissante. Progressivement, les collectivités intègrent le fait de pouvoir prendre part à un sujet qui jusqu’ici leur échappait. Les volontés politiques se renforcent.
Nous démontrons, notamment, qu’un projet énergétique citoyen apporte deux fois plus de retombées économiques locales qu’une opération classique. Sans compter une préoccupation grandissante des citoyens pour le climat et les initiatives sociales et solidaires. Cela explique que le nombre de projets d’énergie citoyenne grimpe.
Il y a, enfin, un enjeu d’acceptabilité. Des objectifs nationaux et territoriaux existent, ce qui implique que des projets d’énergies renouvelables, peu importe leur forme, doivent émerger. De plus en plus de territoires et d’opérateurs économiques se rendent compte que des méthodes trop directives ne sont pas adaptées à une transition pérenne. Celles-ci conduisent à des échecs, synonymes de pertes d’argent et de temps. La démarche de transition énergétique citoyenne permet, justement, d’aller au-delà des figures imposées de la concertation traditionnelle et d’ancrer durablement les projets dans leur territoire. Les professionnels des énergies renouvelables et les développeurs eux-mêmes se tournent désormais vers les méthodes citoyennes.
La RDT – Vous avez évoqué les aspects de rentabilité et d’acceptabilité : quels sont tous les bénéfices que les territoires peuvent attendre d’un projet énergétique citoyen ?
M. M. – Il y a plusieurs arguments. Le premier est directement écologique. Il s’agit de produire une énergie verte, locale, maîtrisée et réversible. L’installation d’un parc solaire n’est évidemment pas comparable, à l’échelle d’un territoire, à celle d’une centrale nucléaire ou à charbon. J’ai également évoqué le volet économique. En ayant recours à un investissement local, les citoyens et les collectivités récupèrent des revenus qui auraient été, autrement, captés par des fonds extraterritoriaux. Ces flux financiers irriguent l’économie locale et cela change tout.
Je peux mentionner, en outre, un aspect démocratique. Mettre en place de tels projets crée de nouvelles coopérations. Citoyens, collectivités et professionnels sont rarement amenés, en temps normal, à échanger les uns avec les autres. Nous assumons, à cet égard, un rôle de rassembleur. Nous essayons d’être les interprètes de tous ces mondes et de les réunir autour d’une même table, dans le but d’avancer conjointement vers la transition énergétique. Ce n’est pas si simple : les citoyens se méfient des acteurs privés et les collectivités peuvent craindre les réactions de leurs administrés, par exemple. Nous réfléchissons aux meilleures formules pour travailler tous ensemble, dans un esprit démocratique.
L’enjeu, aussi, est éducatif. Les initiatives d’énergie citoyenne ne sont pas que des projets de production. Ils sont par ailleurs symboliques et peuvent servir de supports pédagogiques. Ils permettent de rendre compte des problématiques de consommation d’un territoire, de sa trajectoire et de ses stratégies d’économies d’énergie. Ce sont des axes intéressants pour organiser des événements ou bien encore des visites scolaires. Enfin, la question est sociale. Rapidement, les projets débordent du seul cadre énergétique, pour atterrir sur des sujets d’agriculture, de mobilité, d’épargne, etc. Notre vocation est d’engager des dynamiques de travail collectif dans les territoires, en utilisant l’énergie comme point de départ.
La RDT – La transition énergétique devient-elle un enjeu de société majeur ? Ou demeure-t-elle, aux yeux des citoyens, secondaire vis-à-vis d’autres priorités écologiques ?
M. M. – Je constate que, par rapport à nos débuts, l’accueil de nos actions a bien évolué. Les citoyens veulent aujourd’hui vraiment s’impliquer, en consacrant du temps et de l’argent. Et une jeune génération est plus que jamais motivée. Elle est disposée à prendre les mesures nécessaires pour endiguer le changement climatique.
On le voit au niveau des investissements que l’on reçoit. Nous étions auparavant sur des publics militants, avec des versements qui s’apparentaient à des dons. Désormais, les investisseurs sont de plus en plus jeunes. Ils n’hésitent pas à investir une part substantielle de leur épargne sur des placements porteurs de sens. Il y a un rajeunissement de l’ensemble des épargnants solidaires. Heureusement, car l’urgence est là. Cet engouement est-il lié à la multiplication de catastrophes météorologiques et climatiques ? À la crise de la Covid-19, qui fait la part belle à la notion de résilience ? Difficile à dire. Toujours est-il que cette prise de conscience nous semble de plus en plus forte.
La RDT – Des freins au déploiement de projets énergétiques citoyens perdurent-ils ?
M. M. – Des freins subsistent. Le principal porte sur la lourdeur administrative relative à ce type de projets. Pour l’éolien, il faut compter sept à huit ans. Cela implique de l’endurance, de la patience et de la ténacité. C’est moins le cas pour le photovoltaïque, mais un autre problème se pose : celui de la rentabilité. Si des dispositifs existent pour faciliter les projets de grande ampleur, rien de tel n’est prévu pour les collectifs citoyens qui s’attachent aux toitures et aux équipements municipaux.
Les projets solaires citoyens ne peuvent voir le jour uniquement parce qu’ils sont portés par des bénévoles. Sans l’engagement désintéressé de ces individus, ces projets n’existeraient pas. C’est un vrai problème, qui s’explique par des tarifs d’achat et des dispositifs réglementaires insuffisants. Les petits projets sont oubliés et c’est bien dommage. Il faut veiller à ne pas décourager de telles initiatives.
La RDT – Observez-vous des fractures en France, dans cette capacité à engager des projets énergétiques et citoyens ? Entre espaces urbains et ruraux, par exemple, ou bien encore entre différentes régions ?
M. M. – Je ne ressens pas vraiment de fracture, mais cela m’évoque deux éléments. Dans notre manière d’animer ces projets, nous encourageons nos interlocuteurs à s’interroger sur les mécanismes de solidarité à l’œuvre entre urbains et ruraux. Les villes n’ont a priori pas à penser à la production énergétique, puisqu’elle a généralement lieu en dehors. C’est dans les territoires ruraux que s’implantent, la plupart du temps, les projets de production. Pour autant, cela exige de réfléchir au lien qui unit ces espaces. Les habitants en zone rurale accueillent les capacités de production dans leur territoire : en retour, les citadins peuvent s’investir et s’impliquer pour que ces projets se déploient dans de bonnes conditions. Une chaîne de solidarité est à construire.
Le deuxième élément porte sur le clivage que suscite l’énergie éolienne, entre anti et pro-éoliens. Notre conviction est plus nuancée : le problème n’est pas tant les éoliennes en tant que telles, mais la démarche employée pour les installer. Si ces projets sont menés sans consulter l’avis des citoyens, il est évident qu’ils vont générer du conflit et de l’opposition. Certains projets éoliens peuvent être bien conduits et il ne s’agit pas d’incriminer une technologie. Au contraire, l’éolien fait partie de l’équation de la transition énergétique et il faut le développer. La question à résoudre est plutôt la suivante : comment faire en sorte de produire de l’énergie éolienne dans de bonnes conditions, en lien avec les territoires et les citoyens ?