Le 18 novembre est une date importante dans le calendrier du déploiement commercial de la 5G, les acteurs français de la téléphonie étant désormais autorisés à activer les licences acquises par enchères fin septembre. Cette technologie mobile de cinquième génération est un enjeu d’importance pour les territoires, avec lesquels la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) entend avoir un dialogue structuré et constant. Rencontre avec Michel Combot, directeur général de la FFTélécoms.
La Revue des territoires – Il est aujourd’hui question de la 5G alors que le territoire national n’est pas encore couvert, en totalité, par les réseaux 4G. À ce titre, un accord ambitieux a été conclu en 2018 entre le gouvernement, l’autorité de régulation (Arcep) et les quatre opérateurs mobiles afin d’éliminer les zones blanches à horizon 2022. Les objectifs de ce « New Deal Mobile » seront-ils tenus ? Où en sommes-nous ?
Michel Combot – Le New Deal Mobile a bien pour objectif de parvenir à une couverture complète des habitants et des zones de développement économique ou touristiques. Pour rappel, il s’articule autour de deux grands axes. Le premier porte sur la conversion, et donc la migration, de l’ensemble du réseau vers la 4G. Pourquoi la 4G ? Parce qu’elle est le standard du moment, celui qui nous permet de travailler, de poursuivre les cours en ligne et de converser avec nos amis. Encore plus avec cette crise sanitaire et économique mondiale. Cette 4G est un bien nécessaire et c’est pour cela que, dès 2017, les opérateurs avaient proposé ce New Deal au gouvernement qui l’a par la suite concrétisé. Premier axe donc : la 4G pour tous d’ici fin 2022.
Sur ce premier objectif, nous avons bien avancé puisque nous sommes à 90 % de sites passés en 4G. La pandémie n’a pas ralenti ces travaux, puisqu’il s’agit de changer des antennes 3G en 4G. Nous serons dans les temps et je pense même en avance pour répondre à cette demande, accentuée du fait de la crise sanitaire.
Le deuxième axe est plus global. Il est d’aller au-delà de la couverture telle qu’elle l’était début 2018 en construisant de nouveaux pylônes. Pourquoi ? Parce que la qualité du service et l’intensité du signal qui pouvaient être acceptables pour les réseaux 2G et 3G, s’agissant de la voix, des SMS et de la navigation sur Internet, ne le sont plus pour la 4G. Nous avons donc, dans le cadre du New Deal, accepté de renforcer la qualité du signal pour permettre un accès à la 4G dans de meilleures conditions. Et pour augmenter le signal, il faut implanter de nouveaux pylônes. L’engagement des opérateurs est donc de construire au moins 5 000 pylônes mutualisés d’ici 2027. Les opérateurs doivent, par ailleurs, renforcer leur signal sur les axes de transport, qu’ils soient routiers ou ferroviaires. Plus de 55 000 kilomètres d’axes routiers sont ainsi concernés.
La construction de ces nouveaux pylônes repose sur un système qui est l’une des grandes forces du New Deal. En effet, les zones à couvrir sont identifiées avec le concours des élus locaux. Chaque année, un travail est mené avec les élus locaux qui font remonter les zones à couvrir : ces zones sont ensuite validées par les préfets et font l’objet d’un arrêté publié par le gouvernement. Les opérateurs ont alors deux ans pour construire le pylône. 600 zones à couvrir ont été identifiées depuis 2018 au titre de cette partie du New Deal, et doivent être équipées d’ici fin 2020. Nous en sommes à 450 nouveaux sites construits et activés à l’heure actuelle. Nous avons un léger retard de trois mois, à cause de la crise sanitaire, mais les équipes des opérateurs sont totalement mobilisées sur le terrain.
Nous construisons ainsi plusieurs centaines de pylônes mutualisés par an dans ces zones blanches, où le signal passe mal. Cela peut être des zones touristiques, sans aucun habitant permanent à proximité. C’est le cas du château de Guedelon dans l’Yonne où il n’y a pas d’habitants, mais où la 4G est nécessaire et un atout pour l’attractivité de ce site touristique situé en pleine forêt. Et il y a aussi des questions de sécurité. Les services de secours doivent pouvoir être contactés rapidement par tous. C’est ce genre de situation que nous rencontrons dans la vallée de la Gordolasque, dans les Alpes-Maritimes, durement touchée par les intempéries. La construction d’un pylône permet d’assurer la sécurité dans cette vallée de randonnée très prisée.
Nous le voyons, le New Deal avance malgré les difficultés et parfois le retard lié à la pandémie. Il va aller au-delà de 2022 car cette échéance porte uniquement sur le passage du réseau 3G existant en 4G. Nous aurons encore de nombreux pylônes à construire jusqu’en 2027. Notre enjeu est de parvenir à un processus où l’on peut accompagner les élus dans la résorption des zones blanches, les associer sur la définition des zones à couvrir et s’appuyer sur leur connaissance du territoire pour construire les pylônes. Ce travail avec les élus est un changement d’angle important initié avec le New Deal. Et les opérateurs financent intégralement les pylônes, soit trois milliards d’euros d’investissements supplémentaires, en contrepartie du renoncement par l’État d’enchères pour renouveler les licences 4G.
Il est important d’associer les élus car ils connaissent la réalité des terrains et parfois des oppositions. Certaines communes qui devaient être couvertes sont sorties du New Deal en raison de trop fortes résistances locales. Nous sommes parfois confrontés à des situations où les acteurs veulent de la connexion mobile mais pas de pylône. Les élus sont aussi là pour faciliter l’intégration du pylône dans le paysage à la fois géographique et sociétal. L’objectif est de s’inscrire sur le long terme. L’enjeu est de bâtir un partenariat durable avec les élus, de remplacer un mode d’interaction qui pouvait être parfois conflictuel par un autre fondé sur le partenariat et le dialogue.
La RDT – Les épisodes de confinement donnent lieu à une hausse de la consommation des données, avec des records de fréquentation atteints sur les réseaux mobiles. Nos réseaux sont-ils aujourd’hui au bord de la saturation ?
M. C. – Il faut différencier les zones étudiées. Quelques chiffres : le confinement, c’est du jour au lendemain entre 20 et 30 % de trafic en plus sur les réseaux télécoms. C’est également entre 40 et 50 % de trafic en plus sur les trafics « voix », que ce soit sur mobile ou sur le réseau fixe. Nous constatons de nouveau ces augmentations de trafic lors du deuxième confinement, de manière surprenante car nous pensions qu’avec l’ouverture des lycées nous aurions moins de consommation.
Il faut être clair : dans les zones rurales, il n’y a pas du tout de problème de saturation pour les prochaines années. Par contre, quand vous vous retrouvez dans des lieux très fréquentés, comme des gares ou un centre des congrès, vous pouvez avoir des phénomènes de saturation avec des baisses de débit et des coupures. Il s’agit par exemple des zones touristiques. Quand vous avez des afflux de personnes dans des zones qui n’ont pas été dimensionnées pour les accueillir, des installations temporaires sont mises en place pour renforcer la connectivité.
La tendance est celle d’une augmentation de 50 % du trafic sur les réseaux mobiles d’année en année. Nous en sommes à environ dix gigas de données échangées par mois et par abonné en 4G. Cette tendance va nous amener vers une saturation certaine dans les lieux à fort passage. Ce sont ces endroits où la 5G va permettre de conserver une qualité de service suffisamment importante pour tous les usages du quotidien.
Un exemple : quand le Tour de France se déplace, il y a en général tout un système d’installations mobiles parce que vous amenez plusieurs milliers de personnes dans une petite commune. Le Tour sillonne des zones qui font la fierté de notre territoire sans être adaptées à de tels afflux. C’est le même phénomène que l’on constate dans une gare parisienne ou lyonnaise, mais nous ne pouvons pas arriver avec des équipements temporaires parce que cet afflux de trafic deviendra permanent.
La RDT – Les enchères et les attributions de fréquences 5G sont intervenues fin septembre, début octobre. Quelles sont les prochaines étapes ? Quand les utilisateurs mobiles peuvent-il espérer bénéficier de ce service ? Pour prendre un exemple très concret : quand un utilisateur de la Manche sera-t-il raccordé à la 5G ?
M. C. – L’Arcep a fini la procédure d’enchères et les autorisations ont été délivrées ce 18 novembre. À compter de cette date, les opérateurs sont libres d’ouvrir et d’allumer la 5G sur les sites qu’ils ont déjà commencé à déployer. Après, le calendrier est propre à chaque opérateur. La 5G est un enjeu concurrentiel très fort, parce que c’est aussi un marqueur différenciant. On le rappelle, la France dispose de l’un des marchés les plus concurrentiels et dynamiques dans la téléphonie mobile, avec des prix parmi les plus bas d’Europe voire du monde. Chaque opérateur va disposer de son plan stratégique pour déployer la 5G.
Les obligations de l’Arcep retiennent 10 500 sites 5G par opérateur d’ici 2025. Pour avoir un élément de comparaison, nous avons environ 85 000 sites toutes technologies confondues à l’heure actuelle en France, dont 90 % en 4G. Avec le New Deal, nous en aurons à peu près 120 000 à horizon 2025 : en multipliant par quatre le nombre de 10 500, vous aurez 42 000 sites 5G sur 120 000, soit une proportion de 30 %. Il faut noter que 25 % de ces déploiements devront être faits en zone rurale. En outre, l’Arcep a annoncé qu’elle mettrait en place un observatoire du déploiement de la 5G avec des objectifs prévisionnels à trois mois. Vous saurez donc dans les prochaines semaines les perspectives éventuelles d’ouverture de la 5G dans les territoires et notamment dans la Manche.
En parlant de la Manche, c’est un département précurseur en matière de numérique, avec de nombreux industriels. Je pense à Acome, le fabricant de fibre à Mortain. L’industrie, c’est aussi l’un des enjeux de la 5G. C’est un enjeu de numérisation des entreprises, on le voit avec la crise sanitaire. Les entreprises ont dû s’adapter et c’est tout l’appareil productif qui doit embrasser cette révolution numérique. La 5G est l’un des piliers essentiels de cette numérisation. Elle est tellement essentielle que le régulateur, l’Arcep, a inclus une clause dans les obligations des opérateurs indiquant que toute entreprise, où qu’elle soit, pourra demander à se faire raccorder. Nous pouvons imaginer demain que les entreprises de la Manche demandent à être connectées au réseau 5G, pour elles aussi devenir plus compétitives grâce à cette technologie.
D’ailleurs, c’est aussi pour cela que nous présidons, au titre de la fédération, un comité de filière qui réunit l’ensemble des parties prenantes : équipementiers, installateurs, opérateurs, etc. Nous avons labellisé un certain nombre de projets 5G pour illustrer ce que cette technologie pourra faire au service des entreprises. C’est pour nous une priorité de faire de la 5G l’un des éléments de relance économique de notre pays. Nous avons par exemple un projet avec Arcelor Mittal, dans l’est de la France, pour étudier comment la 5G pourrait rendre les processus sidérurgiques plus efficients. Il s’agit aussi de lutter pour conserver des emplois sur le territoire.
Il ne faut pas simplement attendre que la 5G arrive, il faut aussi la susciter, susciter les usages industriels, susciter les bénéfices que pourront en retirer les habitants. Il faut pouvoir rentrer dans un cercle vertueux. Au titre du comité de filière, nous avons publié un certain nombre de documents pour illustrer les applications pratiques de la 5G. Notre enjeu, en tant qu’opérateurs et en tant que filière, est de faire de cette 5G un élément important de la compétitivité de notre pays et de la conservation de nos emplois qualifiés sur le territoire.
La RDT – Derrière l’accord du New Deal Mobile, se profilent des enjeux d’inégalité territoriale et de fracture numérique en lien avec une couverture différenciée des réseaux 4G. Le déploiement de la 5G n’accentuera-t-il pas les fractures de ce type d’un territoire à l’autre ?
M. C. – Nous avons collectivement tous appris des années passées. Les élus nous demandent : quand la 5G arrive-t-elle chez moi ? Au-delà de la 5G, il y a un enjeu de développement économique des territoires et de compétitivité de leurs entreprises. Nous l’avons vu avec la 4G : cela permet à des agriculteurs de mieux travailler, à des commerçants de pouvoir prendre des commandes ou de recevoir des fournisseurs en dehors de leur boutique, etc. La 5G, c’est la même chose. Cela doit faire l’objet d’un dialogue, de pédagogie, pour faire comprendre aux entreprises qu’elles sont aussi les actrices de cette transformation pour qu’aucune nouvelle fracture ne se crée. Au fond, je dirais qu’une entreprise en zone rurale aura encore plus besoin de la 5G, afin de se différencier de la concurrence mondiale, qu’une entreprise située en zone périurbaine et donc plus proche de ses clients.
La RDT – De nombreuses critiques sont formulées à l’égard de la 5G, liées à des enjeux sanitaires, environnementaux ou de sécurité. Elles sont parfois portées par des élus locaux et des conseils municipaux ont voté un moratoire sur le déploiement de la technologie. Comprenez-vous ces critiques ? Partagez-vous, vous-même, des inquiétudes par rapport à la 5G ?
M. C. – Inquiétudes, non. Les fréquences utilisées par la 5G le sont déjà par d’autres types de services. C’est le cas de la boucle locale radio, permettant d’avoir du WiFi en zone rurale, qui les utilise depuis près de vingt ans. Toutes les études, notamment étrangères, montrent qu’il n’y a pas d’impact supplémentaire ou spécifique de la 5G. Nous restons dans un cadre très protecteur en matière de limite d’exposition du public aux radiofréquences. La France est l’un des pays qui effectuent le plus de mesures en matière d’exposition. Toutes ces mesures sont en ligne, il n’y a rien à cacher. La 5G est même plus performante en matière d’exposition et d’environnement, car les antennes n’enverront leur signal que vers les abonnés concernés et s’éteindront en l’absence d’utilisateurs.
Nous pouvons comprendre qu’il y ait des craintes. Cela fait deux ans et demi que le gouvernement a lancé sa stratégie nationale sur la 5G, et il y a des craintes globales autour du développement technologique. Faut-il aller vers plus de technologie ? Faut-il dire stop ? Notre avis, c’est la concertation. Nous avons l’obligation de transmettre un dossier d’information au maire à chaque fois que nous voulons activer une antenne. Nous ne voulons pas développer la 5G contre les élus. Quand vous avez des clients ou des entreprises qui vous demandent la 5G, les choses se compliquent car nous ne voulons pas les pénaliser pour des raisons politiques. Nous ne sommes pas là pour faire de la politique, mais pour assurer le développement de services au profit des territoires, des citoyens et des entreprises.
Le cadre français est très protecteur au niveau des limites et de ce qu’on appelle les valeurs d’attention. Si une mesure excède les 10 % de la limite, nous nous engageons à baisser l’exposition afin d’en rester à des moyennes très basses. Tous ces engagements vont demeurer pour la 5G et c’est important de le faire savoir. Les contestations viennent surtout des grandes villes. Dans les zones rurales, les acteurs sont plutôt demandeurs de la 5G, en étant attentifs comme tout citoyen à ce que ces technologies s’insèrent dans un milieu sociétal spécifique. Notre objectif, côté opérateurs, est d’accompagner le développement de la société. Cela ne nous empêche pas d’être plus sobres en matière d’émission et d’aborder la question environnementale de manière volontariste. C’est pour nous un engagement important.
La RDT – Un élu a-t-il vraiment les moyens de repousser l’installation d’une antenne ?
M. C. – Certains élus, pour des raisons politiques, annoncent des moratoires mais in fine c’est l’État, via l’Arcep, qui attribue les fréquences et a récupéré 2,8 milliards d’euros. Ces fréquences sont attribuées aux opérateurs qui ensuite peuvent déployer leurs services. Les autorisations ayant été données, les antennes seront déployées et les élus sont compétents en matière d’urbanisme. Ils peuvent s’opposer à la 5G si l’installation d’une antenne n’est pas conforme au plan local d’urbanisme, ce qui n’est jamais arrivé. Nous respectons la réglementation en vigueur.
La RDT – Comment se déroulent ces débats à l’international ?
M. C. – La France ne fait pas partie des premiers pays à développer la 5G. Dans la plupart des cas, le déploiement se passe bien. Les contestations liées aux ondes sont très faibles. Historiquement, la France est mobilisée sur cette question et a créé un cadre protecteur. La Belgique et la Suisse aussi ont des législations assez fortes et des débats nourris sur la 5G. Au-delà de ces deux pays, il n’y a pas de demande de moratoire en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Chine, etc. En Suisse, ce sont plutôt des enjeux de calibrage des valeurs d’attention. C’est moins un phénomène d’opposition que d’évolution des cadres existants.