Fabien Bazin est maire de Lormes et vice-président du conseil départemental de la Nièvre. Un centre de vaccination a été ouvert depuis lundi dans sa commune : interrogé par La Revue des territoires, il revient sur les moyens mis en œuvre localement et pointe les défaillances de l’État.
La Revue des territoires – L’accueil d’un centre de vaccination, au sein d’une commune d’un millier d’habitants telle que Lormes, n’est pas neutre du point de vue des moyens déployés. Concrètement, cela implique quel engagement de la part de votre municipalité ?
Fabien Bazin – Au-delà des moyens humains qu’on y affecte, c’est une question de construction des centres de vaccination par les maires. Quand je parle de construction, je fais référence au travail d’assemblage qui consiste à solliciter des médecins retraités et des infirmières. C’est aussi désigner, sur demande de l’Agence régionale de santé (ARS), un coordonnateur qui en général n’est pas le maire mais un agent de catégorie A. Il nous revient, enfin, d’identifier le lieu où l’on implante le site et de vérifier qu’il est conforme. Nous avons, pour notre part, la chance d’avoir un petit hôpital local, ce qui sécurise l’opération.
En termes de moyens, cela représente la mobilisation de deux membres de notre personnel, celui-ci étant déjà peu nombreux. À Lormes, nous devons avoir au total cinq agents administratifs : nous en affectons donc quasiment la moitié au centre de vaccination. Cela signifie que, derrière, je ne suis plus en mesure de rendre le service public communal dans des conditions optimales. Il y a aussi une mise à disposition, négociée avec le centre social, d’une troisième personne pour être vraiment dans la finesse de l’accompagnement.
La RDT – Est-ce vous qui avez proposé d’accueillir ce centre de vaccination ou bien celui-ci vous a-t-il été imposé par les autorités compétentes ?
F. B. – C’est l’État qui a proposé, et non imposé. Beaucoup de maires ont communiqué sur le fait d’avoir écrit à l’ARS pour être centre de vaccination : je pense que la réalité a été précisément l’inverse. Et c’est d’ailleurs la difficulté du dispositif, qui est très étatisé et dépendant de l’ARS. Je pense même que les préfets n’ont pas dû trop avoir leur mot à dire. On voit désormais ce que produit ce pilotage par l’ARS.
La RDT – Votre centre reçoit 185 doses par semaine : est-ce aujourd’hui suffisant ou avez-vous des difficultés à proposer des créneaux à vos concitoyens ?
F. B. – Clairement, les standards explosent. On nous a fermé hier les demandes de rendez-vous pour cause d’absence de vaccins : il y a un sujet de pénurie, de doses cachées ou camouflées, contrairement à ce que prétend Olivier Véran. Nous le constatons sur le terrain. Nous avions au départ la possibilité de monter à 300 doses pour la première semaine et, après avoir vérifié ce que nous étions en capacité de faire, nous avons proposé à l’ARS de tester pendant quinze jours l’administration hebdomadaire de 185 injections puis de réajuster. Dès jeudi, nous avons constaté que nous pouvions aller au-delà de ces 185 doses : l’ARS nous a répondu que le seuil de 300 doses, possible il y a une semaine, ne l’est plus aujourd’hui.
En rester à 185 doses pose problème notamment pour aller vacciner les personnes à domicile. Nous sommes en train de monter une unité mobile et nous pourrions tout à fait aller vacciner les gens chez eux, car c’est un vrai sujet pour les personnes âgées en situation de handicap. Ce public est probablement le plus fragile, en contact avec quatre ou cinq personnes au quotidien (aide à domicile, kiné, médecin, etc.) : il faudrait pouvoir le vacciner prioritairement, mais aujourd’hui nous ne le pouvons pas.
La RDT – Les élus locaux ont abondamment relayé leur colère, critiquant notamment le manque de doses et de seringues disponibles. Vous qui êtes en première ligne, avez-vous le sentiment d’être abandonné par l’État ?
F. B. – Je ne parle même plus d’abandon, car cela ressemble davantage à de l’incurie. L’échelon local de l’ARS est surtout totalement désinformé. Que nous n’ayons pas les doses, c’est une chose, mais qu’on nous le dise. À partir du moment où les élus locaux réalisent le tour de force de monter dans la Nièvre onze centres de vaccination, les injonctions contradictoires permanentes, le mur de non-information de ceux qui nous gouvernent et la verticalité des prises de décision témoignent d’une impréparation redoutable.
Nous savons depuis un an que le vaccin est la réponse à la crise. Nous savions tout autant qu’il faudrait installer des centres de vaccination, gérer la logistique et identifier les publics : là, nous faisons les choses en huit jours, ce qui est considérablement court. C’est assez stupéfiant et ce n’est pas qu’une question de logistique. Il y a un amateurisme que je n’ai jamais vu en trente ans de vie publique.
La RDT – Il est évoqué le nombre de 900 centres déployés au niveau national. Ce maillage-là suffit-il ? Permet-il d’assurer une présence locale suffisante ?
F. B. – Aujourd’hui, le vrai sujet de l’action publique est quand même celui de la proximité. Il y a une forme de confiance – ou en tout cas de moindre défiance – entre concitoyens. Je plaide pour qu’il y ait un centre de vaccination par ancien canton, y compris en raison des difficultés de transport que nous rencontrons et pour lesquels nous avons été obligés de mobiliser les flottes de véhicules des centres sociaux. Ce système de ramassage est lui-même presque absurde, puisque nous sommes contraints de l’organiser de façon individuelle : les plateformes de vaccination ne permettent pas de réserver cinq ou six créneaux à la suite, ce qui aurait permis d’utiliser des minibus pour véhiculer plusieurs personnes à la fois.
Il aurait fallu y réfléchir six ou huit mois à l’avance et associer dès le début les professionnels de santé à la vaccination. Il y a 20 000 pharmaciens en France : avec dix patients par jour, nous aurions vacciné en un mois quatre millions de personnes. Le fond du problème est cette défiance des autorités vis-à-vis de la proximité. Nous n’avons pas tiré les leçons de la crise des masques. Désormais, nous ne sommes plus dans l’inattendu mais dans l’amateurisme.
La RDT – Le parcours vaccinal, tel qu’il se déploie actuellement, vous semble-t-il clair ? Le dispositif reste-t-il accessible pour des personnes concernées par certaines difficultés, notamment s’agissant de l’utilisation du numérique ?
F. B. – Nous avons, comme d’habitude, une approche nationale du sujet et sommes incapables de faire de la dentelle. Les problèmes qui peuvent se poser dans des centres ruraux du département de la Nièvre ne sont, évidemment, pas tous de même nature que ceux rencontrés dans les métropoles et les villes dotées d’un centre hospitalier de plein exercice. Il y a donc, bien sûr, de l’incompréhension. Vu d’un bureau d’un cadre supérieur vivant en ville, le modèle est censé théoriquement marcher. Mais nous sommes incapables de nous projeter dans le regard d’une personne âgée et isolée dans un hameau de trois ou quatre maisons, sans voiture ni accès à Internet.
Ce mot absurde de dématérialisation est extrêmement handicapant. Il faut justement rematérialiser et c’est à l’occasion de crises de ce type qu’un tel mouvement doit s’amorcer. En pleine crise sanitaire, les bureaux de poste et les salles de classe continuent de fermer, sans compter l’ARS qui réduit des services dans des petits centres hospitaliers et ne résout pas les problèmes de démographie médicale. La dématérialisation est une vision fantasmée au niveau central qui ne peut pas être comprise localement.
La RDT – Près de la moitié des Français étaient présentés, il y a encore peu de temps, comme étant hostiles à la vaccination. À ce jour, c’est la lenteur de la campagne vaccinale qui est décriée. Quelle perception ont vos concitoyens de cette situation ? Le vaccin suscite-t-il plutôt de l’enthousiasme ou de la méfiance auprès des Lormoises et des Lormois ?
F. B. – Il y a deux choses. D’abord, les médias se sont un peu trompés dans les pourcentages communiqués. En réalité, quand on retravaille les chiffres, les anti-vaccins représentent plutôt 8 à 10 % de la population. Optiquement, cela donnait l’impression d’une France coupée en deux alors que la situation est en fait beaucoup moins marquée. Cela étant, il est clair qu’il n’y a pas d’enthousiasme. Il y a de la peur, de la crainte. Cependant, comme il est dit qu’il n’y a pas d’autre solution pour venir à bout du virus, les gens se rendent dans les centres de vaccination et sont soulagés une fois qu’ils ont reçu l’injection. C’est cela qui ressort plutôt qu’un débat tranché entre les pro et les anti-vaccins.