Alde Harmand
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Alde Harmand, maire de Toul : « Mais ça vaccine où ? »

La ville de Toul, située dans le département de Meurthe-et-Moselle, accueille deux centres de vaccination : le premier pour les professionnels de santé et le second, ouvert depuis le 18 janvier, pour les personnes âgées de plus de 75 ans. Alde Harmand, maire de la commune, détaille le déroulement de la campagne vaccinale.

La Revue des territoires – Dans un entretien publié dans l’Est républicain, vous expliquiez que la vaccination fonctionnait bien à son début jusqu’à ce que l’on bloque l’accès de la municipalité à la plateforme Doctolib. Pouvez-vous raconter ce qu’il s’est passé ?

Alde Harmand – Le centre destiné aux personnels soignants a été organisé par l’hôpital. Pour vous dresser l’historique de l’autre centre de vaccination, pour les plus de 75 ans, il faut en revenir aux annonces du gouvernement relatives au changement de sa politique vaccinale en dehors des Ehpad [NDLR : Olivier Véran a annoncé le 5 janvier l’élargissement de la vaccination]. J’ai, à ce moment-là, prévenu les services de la préfecture que je souhaitais qu’un centre soit ouvert à Toul et que nous étions disposés à faire le nécessaire. Il a fallu une semaine pour avoir une réponse, qui a été de m’inviter à une visioconférence le jeudi après-midi précédant la date du début de la vaccination pour les plus de 75 ans [NDLR : le lundi 18 janvier]. J’ai fait remarquer que c’était un peu tard.

Avec le député Dominique Potier et le directeur de l’hôpital, nous avons commencé à travailler sur l’ouverture du centre de vaccination dès le lundi 11 janvier pour qu’il puisse démarrer la semaine d’après. Lors de la visioconférence du jeudi avec la sous-préfecture et l’Agence régionale de santé (ARS), j’ai expliqué que nous ne les avions pas attendues et que nous nous étions débrouillés sans elles. Le centre de vaccination, pour les plus de 75 ans, a donc bien ouvert le lundi 18 janvier. Nous nous sommes organisés avec les médecins de ville, les médecins retraités et les infirmiers libéraux. L’idée a été de ne pas mobiliser le personnel du centre hospitalier qui fonctionne déjà à flux très tendu, mais de solliciter des professionnels extérieurs.

La médecine de ville est bien organisée sur le territoire, étant constituée en association. Les médecins se sont réunis et ont monté des permanences : tout a bien démarré. Avec également la mise en place d’une plateforme téléphonique, ouverte dès le vendredi 15 janvier et composée de quatre lignes compte tenu de l’afflux. Cela s’est très bien passé et nous avons pu prendre des rendez-vous pour les quinze jours à venir.

Mais le lundi 18 janvier au soir, à partir de 17h, nous n’avons plus eu accès à Doctolib [NDLR : cet accès permettait aux agents de la mairie de prendre rendez-vous pour les personnes les appelant par téléphone et ne disposant pas forcément d’Internet]. Nous avons été prévenus trois minutes avant de ce qui s’est révélé être un arrêté préfectoral, centralisant toutes les réservations téléphoniques à partir du CHU de Nancy.

Ce que je regrette vraiment, c’est qu’il n’y ait pas d’anticipation et surtout aucune concertation – et cela a été exactement la même chose pour les masques et pour les tests. Ce n’est pas normal. Nous devons être un minimum associés. Il y a évidemment des choses qui s’imposent, mais il faut que nous en soyons avertis et que nous en discutions en amont, plutôt que cela tombe comme un couperet.

Par rapport à la fermeture de notre plateforme téléphonique, cela m’a interloqué que tout soit centralisé sur Nancy. Nous, nous prenions rendez-vous pour nos concitoyens et nous les accompagnions tout au long de leurs questionnements. La ville et la communauté de communes ont d’ailleurs mis en place des transports gratuits à la demande. Nous organisions tout. Pour sa part, la plateforme de Nancy consiste en une simple prise de rendez-vous, de façon très conviviale certes, mais nous allions de notre côté bien au-delà : nous répondions aux personnes s’il fallait venir les chercher, nous rassurions celles et ceux qui viennent en voiture sur le stationnement, nous leur expliquions précisément où se trouve le centre, etc.

Quand on parle des plus de 75 ans, on parle aussi de personnes de 90 ou de 95 ans qui appellent, sans famille sur place, pour qu’un agent réserve en leur nom. Le tout Internet ou le tout Doctolib n’est pas accessible pour tout le monde. Mon grand regret porte sur ce manque d’anticipation, car on ne sait quand même pas depuis dix jours que l’on doit vacciner. Cela n’a pas été préparé. Nous sommes partis vraiment en retard au niveau du département. C’est pour cette raison que la ville de Nancy a pris ses dispositions une semaine avant tout le monde, toute seule. Dans son sillage, nous nous sommes également organisés seuls.

La RDT – Concernant la gestion des doses, en disposez-vous suffisamment afin de faire fonctionner votre centre de vaccination destiné aux plus de 75 ans ?

A. H. – Le centre de vaccination est fermé à partir de ce mardi. Voilà, c’est fini. Le centre n’aura fonctionné qu’une semaine puisque, à partir de ce mardi, tous les rendez-vous qui auront été pris jusqu’au début du mois de février vont devoir être annulés. Il n’y a pas de doses. Nous n’avons aucune visibilité sur leur disponibilité future. On ne nous dit rien et on va nous prévenir la veille ou l’avant-veille que l’on peut relancer le centre. Il n’y a pas d’anticipation. Il n’y a pas de concertation. Nous sommes mis devant le fait accompli et nous devons nous organiser seuls. La technostructure de l’État est d’une lourdeur incroyable. Nous n’avançons pas. Anticiper et concerter, voilà deux mots que les services de l’État ne connaissent pas. Je suis catastrophé par cette désorganisation totale.

Nous apprenons le dimanche soir que nous ne pourrons plus vacciner à partir du mardi. J’ai quand même demandé s’il y a bien une équité territoriale et si tout le monde doit fermer ses centres. J’espère que les doses sont réparties de manière équitable sur tout le département. Une personne du village le plus rural de Meurthe-et-Moselle doit avoir les mêmes chances d’être vaccinée qu’une autre de Toul ou de Nancy. Il faut vraiment une équité et j’ai le sentiment qu’elle n’est pas respectée.

Cette semaine, plusieurs centres de vaccination devaient ouvrir et dépendre de l’hôpital de Toul, tels qu’à Neuves-Maisons, Colombey-les-Belles et Vézelise. Ils ne vont pas pouvoir ouvrir puisqu’il n’y a pas de doses. Cela veut dire que toutes les personnes de plus de 75 ans de ces territoires ne seront pas vaccinées maintenant. Et dans combien de temps ? On ne sait pas. Ce qui me déconcerte au plus haut point, c’est que le ministre de la santé dit dans les médias « ça vaccine » : mais ça vaccine où ? Nous, on n’a plus rien. S’il y avait un message clair, disant que pendant quinze jours cela va être compliqué et que le nombre de vaccins commandés n’a pas été reçu, ce serait mieux accepté. C’est le flou artistique le plus total.

La RDT – Les élus locaux sont nombreux à relayer leur colère. Ressentez-vous un manque de confiance de l’État à l’égard des territoires ?

A. H. – Je ne sais même pas si c’est un manque de confiance envers les territoires. Nous avons un pouvoir centralisé, avec malgré tout une forme de décentralisation, une ARS d’un côté et un préfet de l’autre : des décisions sont prises dans tous les sens et au bout du compte on perd du temps. Il y a toute une technostructure qui nous paralyse totalement. J’ose espérer que le gouvernement n’a pas de défiance envers les élus locaux. Je ne pense pas. Si je me trompais, ce serait un peu plus grave pour l’avenir de notre démocratie.

La RDT – Lorsque le parcours vaccinal fonctionne, est-il suffisamment clair ? Avez-vous le sentiment que vos concitoyens sont parfois perdus dans les démarches à suivre ?

A. H. – Tout à fait. Sur deux jours de fonctionnement de notre plateforme téléphonique, nous avons reçu plus de 600 appels. Notre standard a explosé. Nous avions bien communiqué sur le fait que les personnes ayant accès directement à Doctolib, par Internet, n’avaient pas à passer par nous. Mais les gens nous appelaient malgré tout, même s’ils avaient Internet, car ils se perdaient dans les rendez-vous. Le centre de vaccination de Toul n’était même pas encore référencé ! La mise en route a été extrêmement compliquée au niveau des services de l’État.

On marche sur la tête, avec un manque d’organisation total. Aujourd’hui, quand les gens téléphonent à la plateforme de Nancy, on leur répond qu’il n’y a plus de rendez-vous et qu’on les recontactera. Et donc ces personnes nous retéléphonent à la mairie, n’étant pas recontactées puisqu’il n’y a pas de visibilité sur la disponibilité des doses. Cela retombe sur nous. « Demandez à Monsieur le Maire de me rappeler, pour savoir quand je vais être vacciné. » C’est kafkaïen. Le tout numérique n’est pas adapté à des publics de cet âge-là et c’est pour cela que nous avions décidé de les accompagner avec un numéro de téléphone.

La RDT – Un troisième reconfinement est évoqué, ce qui entame encore davantage le moral des Françaises et des Français. Quel état d’esprit observez-vous à Toul ? Est-ce du défaitisme, de la résignation, ou au contraire l’envie de se faire vacciner dès que possible pour sortir de cette situation ?

A. H. – Au niveau des gestes barrières, la population dans sa très grande majorité respecte parfaitement les consignes. Les personnes, majoritairement, n’ont qu’une hâte : se faire vacciner. C’est un retournement de situation, car il y avait une certaine défiance contre le vaccin. Plus les jours et les semaines avancent, plus les gens ont envie de se faire vacciner parce qu’ils souhaitent sortir rapidement de cette période particulière. 

À titre personnel, j’aimerais qu’un reconfinement total soit annoncé. Mais un vrai. Pas le confinement un peu bancal que nous avons vécu il y a quelques mois, où il y avait autant de monde dehors qu’une période normale. Un vrai confinement pendant trois semaines, en profitant des vacances scolaires pour qu’il n’y ait pas trop d’impact sur les enfants. Et il faut continuer à vacciner, bien entendu, pendant cette période-là.

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