Florent Boithias
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Les objets connectés, un levier d’efficacité pour l’action publique locale ?

L’intelligence artificielle analyse, hiérarchise et interprète de grands volumes d’informations, sans qu’une intervention humaine ne soit systématiquement nécessaire. Encore faut-il disposer de données en nombre et de qualité suffisante, ce qui constitue un véritable défi pour les collectivités et notamment pour les plus petites d’entre elles. À cet égard, les objets connectés deviennent un sujet majeur pour les territoires, leur permettant de produire de l’information et d’optimiser les prises de décision. Explications avec Florent Boithias, responsable de la mission « Villes et territoires intelligents » au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

Preuve supplémentaire de l’intérêt grandissant pour l’intelligence artificielle dans le panorama des politiques publiques, le sujet de la ville et des territoires intelligents constitue aujourd’hui l’une des thématiques phares du Cerema. Créé en 2014 et placé sous la double tutelle des ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le centre d’études intervient afin de sensibiliser les collèges d’élus à une culture numérique, dont les questions d’IoT (pour Internet of Things, autre appellation des objets connectés). Un premier enjeu est de valoriser les initiatives déjà existantes, de nombreuses collectivités étant dans l’IoT sans forcément le savoir.

Pour souligner l’ampleur du phénomène, France Stratégie évaluait dès 2015 le nombre d’objets connectés à 40 milliards d’unités. Celui-ci était inférieur à cinq milliards en 2010, tandis que les prévisions le portaient à 80 milliards d’ici 2020. L’internet des objets devient peu à peu incontournable dans les sphères tant privées que professionnelles de la vie quotidienne ; l’espace public ne devrait guère y échapper. Pour autant, la littérature scientifique est assez peu bavarde lorsqu’il s’agit d’appliquer les potentialités entrouvertes par les objets connectés à la réalité des acteurs territoriaux.

C’est en constatant ce vide que le Cerema a commandé deux rapports à l’École des Ponts ParisTech et AgroParisTech, publiés en 2018 et en 2019, sur cette question de l’appropriation de telles technologies par les collectivités. Ces deux rapports ont été complétés par la mise en ligne d’une plateforme sur le site du Cerema, à savoir un « Espace IoT » cartographiant les projets portés localement. Cet espace est développé et géré en partenariat avec l’Avicca, une association de collectivités spécialisée dans le numérique.

Un sujet transversal et des stratégies plurielles

Cette cartographie permet de confirmer que l’IoT, par nature, est un sujet transversal. Florent Boithias y voit un outil au service de nombreux métiers de la décision publique locale. Les technologies ne sont pas encore stabilisées et le potentiel d’innovation demeure immense. « Il n’y a pas de méthode universelle pour se saisir de la problématique des objets connectés », insiste l’expert du Cerema.

Deux stratégies semblent se faire face. Certaines collectivités mettent en œuvre des solutions IoT métier par métier, c’est-à-dire qu’une direction va se doter isolément de son propre système connecté en fonction de ses besoins, gagnant ainsi en réactivité. A contrario, d’autres retiennent une approche intégrée, plutôt qu’en silo, et déploient un réseau sur lequel l’ensemble des services territoriaux vont pouvoir greffer leurs projets.

Une grande difficulté porte sur l’extrême volatilité des technologies IoT. « Nous ne sommes pas sûrs des technologies qui vont persister deux ans plus tard », souligne avec prudence Florent Boithias. Dans ce contexte, une problématique forte pour les collectivités est de minimiser les risques afférents aux initiatives qu’elles peuvent être amenées à conduire, à la fois pour limiter la dépendance à un prestataire unique et pour maîtriser l’obsolescence des technologies retenues. Le spectre de la 5G, en toile de fond, menace lui aussi de rebattre les cartes des solutions actuellement sur le marché.

En conséquence, les collectivités doivent-elles devenir propriétaires de leur réseau IoT ou fonctionner par abonnement ? Le réseau-propriétaire, à l’œuvre par exemple au sein de la métropole rennaise, comporte des avantages et des inconvénients. Si être propriétaire est un gage certain de souveraineté, cela peut également représenter un bon calcul économique. En revanche, cela implique moins de souplesse dans la capacité de la collectivité à suivre l’innovation dès lors que la technologie est acquise. En outre, un réseau-propriétaire nécessite une montée en compétences des agents territoriaux, ce qui peut être coûteux à court terme mais bénéfique à long terme, puisque cela renforce l’autonomie de la collectivité.

Des champs d’application multiples

Se pose alors la question des champs d’application possibles. De nombreuses compétences dévolues aux collectivités peuvent être concernées par les apports des objets connectés : « énergie, déchets, eau, environnement et mobilité, ce sont vraiment les grandes dominantes », d’après Florent Boithias. « D’ailleurs, les objets connectés peuvent aussi concerner les petites choses de la vie quotidienne et pas uniquement des projets massifs ».

Tel est l’exemple d’une mangeoire connectée, dans le cadre d’un projet concrétisé grâce au LabFab de Rennes, permettant d’effectuer des prises de vue automatiques des oiseaux qui s’y installent et donc de mesurer la biodiversité. Il est aussi possible de citer l’exemple de la pose de balises sur des bouées de sauvetage ou sur des plaques d’égout afin de décourager les vols.

En matière de mobilité, des capteurs peuvent identifier la présence d’un véhicule sur une place et mesurer son temps de stationnement, ce qui augmente le taux de paiement volontaire et, à défaut, les recettes liées aux verbalisations. À Saint-Amand-Montrond, commune de moins de 10 000 habitants située dans le Cher, les services de la ville reçoivent une notification en cas de dépassement du temps de stationnement autorisé sur les places d’arrêt minute. À Rouen enfin, le couplage de données relatives à la qualité de l’air à proximité des écoles et à la régulation du trafic permet d’optimiser les feux tricolores afin de réduire la pollution.

S’agissant de l’éclairage intelligent, les applications foisonnent. Des économies d’énergie et de maintenance sont réalisées grâce à l’extinction ou la réduction de l’intensité lumineuse des candélabres, en fonction de la présence ou non d’un piéton. En outre, les mâts électriques constituent un réseau numérique déjà existant pouvant servir de support au déploiement d’usages connectés : recharge des véhicules électriques, collecte d’informations provenant des capteurs aux alentours, etc. Le Li-Fi, quant à lui, est une technologie permettant d’accéder à Internet par la lumière et de communiquer des informations géo-contextualisées : c’est le fait d’envoyer, par exemple dans un musée, des explications sur une œuvre qu’un visiteur contemple grâce à une source lumineuse avoisinante.

Les applications environnementales ne sont pas en reste, en particulier en termes de mesure des bruits ou de la qualité de l’air. D’un point de vue plus technique, la communauté d’agglomération Paris-Saclay et la métropole de Lyon ont expérimenté des dispositifs de mesure de l’état de la chaussée (température et humidité) pour savoir s’il est plus approprié de recourir au salage ou au sablage en cas de gel.

Dans tous les cas, ce qui compte selon Florent Boithias, « c’est de chercher à construire un projet de territoire intelligemment plutôt que de poursuivre un idéal de ville intelligente ». L’essentiel est de s’assurer que les solutions IoT envisagées répondent à un besoin et soient susceptibles de s’inscrire durablement dans les usages.

À ce titre, les innovations numériques demeureront sans objet si elles ne sont pas le fruit d’une forme d’intelligence collective, associant toutes les parties prenantes d’un territoire, et si elles ne sont pas pensées en étroite relation avec les expertises « métier » qu’elles entendent optimiser. À ne pas s’y méprendre : « l’IoT pour l’IoT, c’est terminé ».

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