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Intelligence artificielle : où en sont les collectivités ?

La notion d’intelligence artificielle fait florès. Entre 1960 et 2018, près de 340 000 brevets ont été déposés et 1,6 million de papiers scientifiques publiés en rapport avec cette technologie, d’après l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi). Pourtant, la littérature est peu bavarde concernant sa prise en compte par les collectivités territoriales. Où en sont-elles en la matière ? Éléments de réponse avec la Banque des Territoires, auteure en décembre 2019 du « Guide intelligence artificielle et collectivités ».

Aymeric Buthion, chargé de mission « marketing, stratégie et animation territoriale » à la Banque des Territoires, en a la conviction : la crise sanitaire et le plan de relance accéléreront la mise en œuvre par les collectivités d’innovations numériques, au premier rang desquelles figure l’intelligence artificielle. Le contexte était déjà porteur à plus d’un titre. En témoigne une montée en puissance des appels à projets estampillés « IA » depuis le rapport AI for humanity de Cédric Villani (mars 2018), tant sur le plan local (en région Île-de-France par exemple avec « AI Challenge 2018 Paris Région ») que national (tels que les « Challenges IA » du programme d’investissements d’avenir) et européen (dont l’action « AI4EU » de la Commission européenne).

Un contexte favorable à l’intelligence artificielle dans les collectivités

Pourquoi un tel engouement de la part des institutions publiques ? Au moins deux facteurs d’ordre technique sont à souligner. D’une part, les technologies « IA » parviennent à maturité de telle sorte que des solutions « sur étagère » et « bon marché » sont désormais accessibles. D’autre part, l’ouverture des données du secteur public, dont la disponibilité est essentielle à la mise en œuvre d’une intelligence artificielle, a été renforcée par la loi pour une République numérique (octobre 2016). À ces considérations se superpose un élément culturel : les élus s’intéressent de plus en plus au sujet, en raison d’un usage croissant de « briques d’IA » par la population (chatbots, enceintes connectées, smart grids, etc.) et d’une large couverture du sujet par les médias.

Aussi les applications « IA » au sein des collectivités essaiment-elles. Le guide de la Banque des Territoires en cite cinq. Les villes de Marseille et de Nice ont ainsi mis en place des solutions automatisées de vidéosurveillance, permettant de reconnaître la silhouette d’un individu ou d’un véhicule puis de le tracer grâce aux flux vidéos envoyés. Le ministère de l’intérieur, quant à lui, a lancé l’application Alicem via le portail France connect. Celle-ci vise à simplifier les démarches administratives en ligne en croisant des données d’identité classiques, telles que contenues dans le passeport, et la reconnaissance faciale.

Autre exemple, la Direction départementale des territoires et de la mer de l’Hérault a expérimenté, pour lutter contre les constructions illégales en milieu sensible, un système de détection automatique des occupations irrégulières des sols. Le traitement du langage naturel, ensuite, a été investi par la métropole Aix-Marseille-Provence pour que des agents conversationnels (ou chatbots) répondent 24h/24 aux questions des citoyens et les orientent vers les services adéquats. Enfin, la métropole Rouen Normandie a mis en circulation, de façon expérimentale, quatre véhicules électriques et autonomes.

C’est dire que les champs d’application de l’intelligence artificielle pour les collectivités sont multiples. Trois grandes compétences territoriales sont jugées particulièrement propices à ce type de technologies : la sécurité, les transports et l’environnement. Ce dernier point peut constituer une « porte d’entrée » vertueuse tant l’intelligence artificielle semble pouvoir apporter, durablement, son concours à la relance verte qu’appelle de ses vœux le Premier ministre Jean Castex : optimisation du pilotage énergétique d’un quartier, gestion intelligente de l’éclairage public, aide à la décision dans le positionnement des bornes de tri, amélioration dans l’entretien des espaces verts ou bien encore détection des dépôts sauvages, nombreux sont les cas d’usage.

Une prise en main par les collectivités pourtant timide

Malgré tout, il est difficile de parler de tendance de fond au regard d’une adhésion encore très aléatoire. Les réflexions en matière d’intelligence artificielle demeurent largement l’apanage des collectivités les plus importantes en taille et en nombre d’habitants. Des freins subsistent, notamment techniques lorsque les collectivités ne disposent pas de l’équipement numérique adéquat ou que les équipes « IT » n’ont pas bénéficié de formations adaptées. Plus largement, s’agissant des stratégies d’investissement, les collectivités ont tendance à se projeter dans des projets où la preuve de valeur est déjà établie – sans compter un code des marchés publics pas toujours facilitateur lorsqu’il est question d’innovation. Enfin, en termes de fonctionnement pur, les directions administratives peuvent souffrir d’un manque de synergies – indispensables dans la conduite de projets par nature transverses – et de disponibilité des agents.

Pour dépasser ces barrières, Aymeric Buthion suggère de « commencer petit, en adoptant une stratégie des petits pas ». Il convient, ajoute-t-il, de « prendre l’IA pour répondre à un besoin bien déterminé, ces technologies n’étant pas la réponse parfaite à l’ensemble des problèmes d’efficacité ». Un enjeu fondamental réside dans la juste compréhension de ce qu’est l’intelligence artificielle et de ce qu’elle peut ou ne peut pas faire. Le guide de la Banque des Territoires retient la définition suivante : « ensemble de méthodes visant à faire effectuer par des ordinateurs – ou des machines – des tâches nécessitant normalement une intelligence humaine ». Trois grandes familles d’usages ont été identifiées : la qualification (par exemple l’extraction d’un sentiment à partir d’un texte), l’appréciation (à l’instar de la prédiction d’accidents routiers) et l’action (telle que la prescription d’une recommandation). 

Le terme d’intelligence peut prêter à confusion car l’intelligence artificielle renvoie surtout à l’idée d’un traitement ultra-sophistiqué d’un nombre exponentiel de données. Sans données suffisantes et correctement étiquetées, nul usage « IA » n’est concevable. Pour ces raisons, il importe selon Aymeric Buthion que les exécutifs locaux « prennent conscience d’être les patrons d’un patrimoine non seulement matériel, mais également immatériel ». En d’autres termes, les données sont présentes mais restent insuffisamment structurées et valorisées – il suffit parfois de peu pour mettre au point une application orientant un usager vers le parking pour lequel la probabilité d’avoir une place disponible est la plus forte, ou adaptant les commandes d’une médiathèque selon ce qu’empruntent majoritairement les lecteurs à un endroit et à une date donnés.

« Trop souvent, les collectivités pensent que l’intelligence artificielle est au-dessus de leurs compétences et de leurs moyens, que c’est trop compliqué. » Face à ce constat, l’urgence est de démystifier le concept et de ne pas chercher à « faire de l’IA pour faire de l’IA ». L’approche la plus efficace se niche dans la réponse à deux questions : « quels services souhaitons-nous offrir ? » et « quelles sont les données disponibles ? ». Les rencontres entre élus et entreprises innovantes sont indispensables afin d’identifier des applications ancrées dans le quotidien des territoires : en auscultant les routes pour détecter automatiquement les nids-de-poule et autres déformations de chaussées, Geoptis (filiale du groupe La Poste) prouve qu’il est possible localement de faire sortir l’intelligence artificielle de l’ornière de son insoluble complexité.

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