Paul Hatte
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Paul Hatte : « Le numérique doit recréer du lien entre les administrés et leurs élus »

Élu en juin dernier aux côtés de Geoffroy Boulard (Les Républicains) à la mairie du XVIIème arrondissement, Paul Hatte est le benjamin du Conseil de Paris. Après avoir fondé une start-up spécialisée dans le développement de logiciels de ville intelligente et de stratégies électorales, Hatis, c’est désormais en tant qu’élu qu’il souhaite œuvrer à la modernisation de l’action publique par le numérique. Rencontre.

La Revue des territoires – Conseiller de Paris et élu dans le XVIIème arrondissement, vous y êtes délégué à la communication, à l’innovation citoyenne et au quartier des Batignolles. Avant ces responsabilités politiques, vous aviez fondé une société éditrice de logiciels destinés à créer du lien entre les administrés et leurs élus. Qu’est-ce qui vous a mené à vous intéresser à ces sujets ?

Paul Hatte – J’ai grandi dans le Val d’Oise, jusqu’à mes dix-sept ans. Puis après le bac, j’ai découvert Paris en y intégrant une classe préparatoire aux grandes écoles de commerce, avant d’être reçu à l’EM Lyon et peu de temps après à Sciences Po Paris en tant que candidat libre. J’ai jonglé entre ces deux scolarités, entre Lyon et Paris, jusqu’en 2018. C’est d’ailleurs à Lyon que j’ai commencé à militer en politique pour les municipales de 2014. Et cette même année, je suis parti un peu moins d’un an aux États-Unis. Je devais y être stagiaire en e-marketing au siège social du Club Med, à Miami. Il m’était demandé de programmer des envois d’emails à partir de visuels promotionnels.

Rapidement, je me suis rendu compte que c’était simple à systématiser et j’ai développé un logiciel pour le faire automatiquement. Alors, le directeur marketing du Club Med adopte la solution et me libère de mes engagements de stagiaire. Nous étions à l’approche des midterms et, passionné de politique, je décide d’écrire à des députés américains. Le parti démocrate me rappelle pour me proposer de participer à leur campagne.

Ensuite, j’ai travaillé au Congrès comme collaborateur du plus jeune député américain, Patrick Murphy. Là, ça a été une expérience incroyable : j’ai rencontré des problématiques et une philosophie politique complètement différentes de la France. J’ai notamment découvert des outils pour faire campagne, des outils qui peuvent transformer la politique, comprendre réellement les aspirations des citoyens et recréer du lien entre les habitants d’un territoire et leurs élus. De retour en France, en 2015, je rejoins le siège d’un parti politique afin d’importer ces nouvelles techniques de campagne. J’ai pu voir à quel point nous péchions en termes d’outils sur tout ce qui relève du porte-à-porte, qui est le cœur de la politique, le contact physique.

J’ai décidé de me lancer dans ce domaine et j’ai commencé à créer de premiers outils de porte-à-porte. Un domaine que je n’ai, par la suite, jamais quitté. Ce que j’adore, c’est pouvoir créer de l’information, de l’apporter au plus près du terrain et de la valoriser. Je pense que le mal dont meurt la politique aujourd’hui, c’est que l’information ne parvient plus aux citoyens concernés qui ne la comprennent donc plus. Et quand on ne comprend pas une décision, on ne la personnifie pas. C’est-à-dire que lorsqu’une décision est prise au pied de chez soi, on ne sait plus qui en est à l’origine. En conséquence, les décideurs n’en sont plus tributaires. Un dos d’âne est installé à proximité de mon domicile parce que la route est accidentogène ? Je ne suis plus capable de dire qui l’a décidé, de le remercier et de me dire que l’élu en question fait bien son travail.

Je souhaitais créer des outils qui permettent non seulement à l’élu de comprendre qu’il y a besoin d’un dos d’âne, grâce aux remontées de terrain des citoyens, mais également de leur dire pourquoi, par qui et comment il a été installé. Ce sont des outils à la fois de signalement, qui permettent à tout un chacun d’interpeller ses élus dans une logique bottom up, et ensuite de redescente de l’information, cette fois-ci selon une approche top down.

La RDT – À partir de l’été 2019, une société que vous aviez créée quatre ans plus tôt pour exploiter des jeux en ligne prend son envol. Quelle est l’origine d’Hatis ?

P. H. – Hatis existe depuis 2015 et a pris son envol lorsque j’ai lancé le logiciel CARATA, qui est l’aboutissement des outils de porte-à-porte, de boîtage et de gestion « CRM » sur lesquels je travaillais jusqu’alors. C’est un outil de terrain au service des élus de proximité. La simplicité d’usage, la transparence de son fonctionnement et son efficacité lui ont permis de décoller. Par exemple, il va permettre de générer des courriers aux citoyens pour les informer des décisions qui les concernent, de boîter en fonction de la composition sociodémographique d’un quartier, etc.

C’est vraiment un outil de proximité sociale, utile à la fois dans la conduite d’une campagne et dans la gestion d’une collectivité. Il ne traite pas de données personnelles, puisque l’outil fournit uniquement des données de contextualisation géographique. Il va permettre d’indiquer le pourcentage de personnes retraitées dans tel ou tel quartier, par exemple.

Une bonne campagne ou une bonne gestion municipale est aussi une question de notoriété. Les Américains utilisent la formule : « communication is repetition ». La capacité d’un élu à se faire connaître et à faire connaître son bilan est liée à sa capacité à répéter un message sous des formats différents. La force de tels outils est de pouvoir rentrer directement en contact avec les administrés en leur écrivant des courriers, en leur proposant d’effectuer des remontées de terrain, de savoir où se trouvent les plus grands flux de circulation pour y déployer un tractage efficace, etc.

Au-delà du logiciel CARATA, Hatis développe des logiciels de signalement low cost et conçus sur-mesure. Une application est créée pour une commune, puis ses habitants peuvent la télécharger et signaler une série de problèmes : déchets, problématiques locales, incivilités, etc. C’est une mine d’or, car il est possible ensuite de reprendre contact avec le citoyen pour lui indiquer que le problème a été réglé. Aussi un lien est-il recréé au sein de la société. J’y crois beaucoup : la technologie n’est pas là pour distendre les gens, mais pour les rapprocher.

La RDT – L’engouement autour des innovations en matière de marketing politique est né aux États-Unis avant de traverser l’Atlantique. De tels outils sont-ils appelés à se généraliser en France ?

P. H. – C’est un marché de niche qui va avoir beaucoup de mal à vivre en France. Tout simplement parce que nos campagnes électorales sont très limitées en termes de budget. La précédente campagne du député pour lequel je travaillais aux États-Unis avait levé, en 2012, près de 24 millions de dollars – soit le budget d’une élection présidentielle en France. Ne peuvent réussir en France que les acteurs capables de proposer des petits prix.

La RDT – Au regard de votre parcours et de la nouvelle page qui s’offre désormais à vous au Conseil de Paris, faites-vous du numérique un axe structurant de votre engagement politique ?

P. H. – J’ai monté cette entreprise parce que je crois profondément dans le numérique. J’y ai toujours cru. Lors de mon grand oral à Sciences Po, c’est précisément la modernisation de l’action publique par le numérique que j’ai tenu à valoriser. Ce que j’ai voulu faire, un temps, à titre professionnel, j’ai envie maintenant de le porter à titre politique. J’étais très content que la campagne pour la mairie de Paris permette de soulever cet enjeu du numérique comme étant l’un des axes majeurs de l’amélioration de la vie parisienne. Nous avons notamment porté le sujet de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer la propreté des rues.

L’intelligence artificielle peut permettre de savoir dans quelles rues doivent passer les camions-poubelles et à quelle heure pour déranger le moins de résidents possibles. L’intelligence artificielle peut prédire où aller se garer et signaler les zones où il reste des emplacements. Quand je vivais à Miami, les parcmètres étaient payés via une application. Il ne devrait même plus y avoir de parcmètres à Paris.

De même, nous devrions pouvoir recevoir sur notre téléphone des informations culturelles sur les endroits à proximité desquels l’on se promène. À une époque, nous mettions des plaques sur les immeubles pour indiquer que telle personne y avait vécu. Ces plaques sont simplement les ancêtres de la notification. Ou bien encore, des outils qui permettent aux gens de savoir s’ils se trouvent dans une zone particulière : admettons qu’une application m’alerte lorsque j’entre dans une rue où le port du masque est obligatoire, c’est de l’intelligence artificielle et ça a une valeur importante. C’est ce genre d’initiatives qui aujourd’hui manquent à Paris.

La RDT – Paradoxalement, Le Monde informatique relevait que « sur les programmes ‘papiers’ officiels des six principaux concurrents à la mairie de Paris, le terme ‘numérique’ n’est pas du tout employé dans trois d’entre eux ». Cela traduit-il une certaine forme de frilosité au sein de la sphère politique sur ces enjeux-là ? Où en est-on dans la diffusion d’une culture numérique au sein du monde politique ?

P. H. – Nous en sommes encore loin. Ce n’est pas de la frilosité, mais tout le monde ne s’est pas encore familiarisé avec ces sujets. Tout le monde n’a pas eu le temps de faire le « benchmark » de ce qui se fait à l’étranger pour déterminer ce qui est bon ou non en termes de solutions numériques. Mon but est d’apprendre pour proposer des avancées utiles à la communauté. Le numérique, c’est comme l’environnement, il y a beaucoup de belles paroles mais la meilleure façon d’avancer est encore de formuler des propositions concrètes.

Ces propositions, la mairie de Paris ne les fait pas et ce doit être un créneau pour la droite parisienne. Il faut que nous proposions des solutions de bon sens, que la mairie de Paris ne pourra pas refuser, et cela nous permettra de faire progresser la ville même en étant dans l’opposition.

La RDT – En parlant d’environnement, quel lien faites-vous avec le numérique ? Deux approches se confrontent : d’une part, les nouvelles technologies sont génératrices de pollution et, d’autre part, elles offrent des solutions d’optimisation inédites. Comment vous situez-vous ?

P. H. – C’est une dimension difficile à aborder à l’échelle d’une commune pour des raisons de compétence. Me concernant, je n’ai pas peur du numérique. Les maux engendrés sont à mon sens inférieurs au bien qu’il est susceptible de produire. Il faut que nous réfléchissions à créer des synergies entre ces deux sujets, pour montrer que la droite est à la pointe des préoccupations numérique et environnementale.

Je vais donner un exemple qui, me semble-t-il, n’existe pas. Quand je me déplace d’un point A à un point B dans Paris, et que je souhaite utiliser un vélo, en réalité je vais d’un point X (endroit où je trouve un vélo) à un point Y (endroit où je le dépose). Si la mairie de Paris était capable de proposer une application permettant de dresser, à partir de ces points A et B, l’itinéraire le plus efficace, la présence d’un vélo au point X et la présence de places au point Y, dont la mise à jour s’effectuerait en temps réel et qui en plus m’indiquerait les pistes cyclables y compris temporaires, ce serait une réussite. C’est le genre de petites idées, un peu gadget mais pas si compliquées à concevoir d’un point de vue mathématique, qui démontrent une vraie vision numérique pour le territoire.

La RDT – En février 2020, le bureau de la Métropole du Grand Paris adoptait la sélection de territoires d’expérimentation pour le déploiement de « Pass numériques », afin de lutter contre les fractures technologiques. Comment peut-on faire émerger un numérique responsable et inclusif ?

P. H. – La mairie du XVIIème arrondissement organise des sessions de formation au numérique pour les seniors. Il y a aussi la création de postes pour assister les usagers dans leurs démarches numériques. Ensuite, le temps fait son œuvre. Inévitablement, de plus en plus de gens sont connectés ou ont des proches qui les forment. Le meilleur moyen de lutter contre les fractures numériques, c’est la pratique. J’ai commencé par installer Skype à ma grand-mère pour qu’elle puisse m’appeler et puis, finalement, elle utilisait l’ordinateur pour regarder ses résultats de bridge. Le numérique, il faut y rentrer par la lucarne et en sortir par la grande porte.

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