Décorations de Noël en centre-ville
Économie et finances

Ouvertures dominicales : une bulle d’air pour les commerces et les centres-villes

Le 24 novembre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé un tournant dans la gestion de la crise sanitaire, avec la mise en œuvre de mesures d’allégement du confinement. Dans cette lignée, le ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, Alain Griset, a confirmé en conférence de presse que les dérogations au repos dominical seront facilitées pour le mois de décembre. Une mesure saluée par certains commerçants et élus locaux, qui y voient une bulle d’air pour les tissus économiques de proximité.

En amont de l’allocution du chef de l’État, plusieurs fédérations de commerçants avaient déjà réclamé « la possibilité d’ouvrir tous les dimanches du mois de décembre » dans une lettre ouverte destinée à Emmanuel Macron. L’Association des commerçants et artisans des métropoles de France, la Fédération française des associations de commerçants, le Conseil national des centres commerciaux, la Fédération nationale des centres-villes et la Confédération des commerçants de France, tous signataires de ce courrier, mettent notamment en avant « une question d’équité avec les ‘pures players’ du e-commerce ».

Cette revendication est rapidement reprise par les membres du gouvernement. Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’industrie, donne le ton en déclarant le 22 novembre sur Radio J que l’exécutif « regarde cette approche de manière favorable, ce d’autant plus que cela permet de respecter les jauges, il y a un intérêt sanitaire ». Elle prévient cependant que « l’idée du gouvernement n’est pas de profiter d’une situation extraordinaire pour faire bouger les lignes du droit du travail ». Trois jours plus tard, le ministre de l’économie Bruno Le Maire corrobore sur France Inter cette perspective d’une ouverture dominicale facilitée pour les commerces, en espérant que les professionnels « puissent rattraper le plus possible au mois de décembre le chiffre d’affaires qu’ils ont perdu en novembre ». Depuis, Alain Griset a officialisé la mesure en indiquant que la ministre du travail, Élisabeth Borne, « a envoyé une instruction en ce sens aux préfets ».

Une mesure saluée par le Conseil du commerce de France

Cette annonce gouvernementale a été accueillie positivement par le Conseil du commerce de France (CdCF), instance représentative qui regroupe une trentaine de fédérations professionnelles. Pour son président, William Koeberlé, il s’agit d’une bonne nouvelle car la dernière semaine de novembre et le mois de décembre sont cruciaux pour les commerçants. Ces semaines « représentent entre 20 et 30 % de leur chiffre d’affaires annuel, voire 50 % pour le secteur du jouet », détaille-t-il. Plus précisément, le cabinet Retail Int. souligne que les dimanches de décembre ont concentré, en 2019, pas moins de 12 % des ventes des commerces non alimentaires. Les fêtes se préparent des mois à l’avance, occasionnant l’accumulation de stocks considérables.

Plus que jamais en péril, le commerce de proximité a su s’appuyer pendant les confinements sur des dispositifs de click and collect et de livraison à domicile. « Mais cela ne suffit pas ! », alerte le président du CdCF. Selon lui, « la situation des commerces est très compliquée car ils subissent depuis près de trois années de suite les mouvements sociaux, les manifestations de gilets jaunes et la crise sanitaire ». Autant d’incertitudes qui affectent moralement et économiquement les commerçants, « fatigués de se battre continuellement pour vivre de leur travail ». Certains seront condamnés à fermer boutique et à licencier leur personnel. L’ouverture des commerces les dimanches de décembre intervient dès lors à point nommé, aux yeux du CdCF, afin de soulager ces acteurs qui participent au lien social des villes et de leurs territoires. William Koeberlé préfère rester optimiste, considérant que « les commerces ne sont pas des lieux de contamination » et que « les clients devraient être de retour dans les boutiques pour faire leurs achats pour les fêtes de fin d’année ».

Les dérogations au repos dominical ne constituent pas une réponse isolée aux difficultés ainsi identifiées. La réouverture des commerces avant la fin du mois de novembre a marqué une étape majeure. Le gouvernement a ensuite arbitré, en plus des dimanches, en faveur d’horaires d’ouverture étendus jusqu’à 21h. De même, la grande distribution, le commerce et le commerce en ligne ont accepté de décaler d’une semaine le « Black Friday », vaste opération promotionnelle venue des États-Unis, à l’issue d’une réunion avec le ministre de l’économie. 

À l’Ouest, rien de nouveau ?

Pour autant, les dérogations au principe du repos hebdomadaire, consacré dans le Code du travail, n’ont rien de nouveau. Plusieurs cas sont d’ores et déjà expressément prévus par les textes législatifs, dont le cadre d’ensemble a été assoupli par loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (autrement nommée « loi Macron »).

Aussi des dérogations permanentes existent-elles pour les établissements dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de production, de l’activité ou les besoins du public, ce qui concerne par exemple les commerces alimentaires, les hôtels, les restaurants ou bien encore les débits de tabac. Autre cas de figure, les établissements installés dans une zone touristique (internationale ou non), dans une zone commerciale ou dans certaines gares peuvent ouvrir le dimanche. Enfin, des dérogations peuvent être accordées par les maires, dans une limite de douze dimanches dans l’année, ou bien encore par les préfets sur demande des commerçants. Les préfets peuvent valider jusqu’à l’ouverture de trois dimanches, sans avis préalable de quelque instance délibérative locale que ce soit, en cas d’urgence dûment justifiée.

C’est ce dernier levier que le gouvernement souhaite faciliter, en permettant aux professionnels d’invoquer deux motifs exceptionnels : sanitaire d’une part, pour réguler les allées et venues de la clientèle en magasin, et économique d’autre part, s’agissant de rattraper les pertes de chiffre d’affaires occasionnées par les fermetures administratives en novembre. 

Or, l’obtention des dérogations préfectorales suppose l’envoi de courriers et de demandes à autant de préfectures qu’il y a de départements. Une « usine à gaz » décriée par certaines fédérations. Pour le CdCF, « la situation est effectivement complexe et nous avons demandé à ne pas rajouter sur le dos des commerçants plus de contraintes qu’ils n’en ont déjà ! », l’objectif étant « de leur éviter toute démarche administrative supplémentaire ». À défaut d’une libéralisation du travail dominical, l’instance demande à ce que les commerces puissent ouvrir de droit tous les dimanches de décembre et que les ministres pertinents, en charge du travail et du commerce, puissent conjointement prendre un arrêté portant dérogation pour une durée limitée et lors de circonstances exceptionnelles. Pour l’heure, le CdCF et les fédérations ont dû écrire individuellement à chaque préfecture, afin de requérir les autorisations d’ouverture dominicale lorsqu’aucun arrêté n’a été pris localement par le maire. Il faut dire que sur les quarante villes de métropole de plus de cent mille habitants, dix n’autorisent pas plus de cinq dimanches ouvrés dans l’année.

Des territoires inégalement favorables au travail dominical

Plus encore, seulement huit de ces quarante villes ont autorisé le maximum de douze dimanches travaillés. Et il est impossible pour les élus de modifier la liste des autorisations du jour au lendemain : établie avant le 31 décembre de l’année précédente, celle-ci peut être modifiée en cours d’exercice mais sous réserve du respect d’un délai de deux mois. L’avis de l’intercommunalité est également requis si les dimanches accordés excèdent le nombre de cinq. D’où le recours aux arrêtés préfectoraux, à l’instar d’une décision du 25 novembre permettant l’ouverture des commerces les quatre dimanches de l’Avent à Strasbourg.

Pierre Jakubowicz, conseiller municipal strasbourgeois d’opposition, apprécie une « mesure positive et de bon sens pour soutenir nos artisans et commerçants indépendants et de proximité, dans cette période de l’Avent si essentielle pour eux ». D’un point de vue épidémique, l’élu relève que « cela va permettre aussi d’étaler davantage les flux et donc de limiter l’attente tout en assurant des conditions sanitaires optimales ». Cependant, il appelle de ses vœux une mobilisation des villes et des intercommunalités en sus des mesures prises par l’État. « Il faut innover pour la solidarité », explique-t-il, son groupe ayant proposé « la création d’un véritable e-marché de Noël à Strasbourg, un accompagnement à la numérisation des commerces, la possibilité d’installer des stands devant les boutiques, la distribution de bons d’achats par la collectivité valables dans les commerces indépendants, le stationnement gratuit sur certaines plages horaires, les transports en commun gratuits et une offre de services, notamment de conciergerie ».

La question du travail le dimanche est souvent l’occasion de débats houleux entre élus locaux. C’est le cas à Rennes où, malgré l’urgence de la crise économique et sociale, le conseil municipal du 24 novembre a décidé d’autoriser les commerçants à ouvrir seulement quatre dimanches en 2021, contre trois en 2020. L’élu d’opposition Olivier Dulucq s’en étonne : « nous ne sommes plus dans une société où le dimanche serait sacré ». Il note que « d’ores et déjà un actif sur cinq, au moins, travaille le dimanche » et que « nos concitoyens regardent en ligne des articles le soir, vont en journée les voir dans un commerce de proximité et vont le week-end l’acheter dans une grande surface ou en ligne ». Comment expliquer dès lors de telles oppositions au travail dominical ? Il déplore que « dans un conseil municipal, tel que celui de Rennes, quand il y a très peu de commerçants, peu de salariés du commerce, petit ou grand, les postures ou l’idéal l’emportent toujours ». Selon le conseiller municipal, « dans le monde réel, les citoyens sont aussi des consommateurs, ils sont parfois incohérents, défendent la petite librairie quand elle est fermée et vont à la Fnac ou sur Amazon pour acheter leurs livres ». Non sans une pointe d’humour, il remarque qu’il y avait « plus de Rennaises et de Rennais en ville pour faire leurs courses de Noël, qu’il n’y a eu de manifestants contre l’article 24 ».

L’enjeu du travail dominical s’exporte au-delà des aires métropolitaines. Dans les villes de taille plus intermédiaire, les dérogations au repos hebdomadaire peuvent aussi soutenir l’activité locale. Telle est la conviction de Pierre-Alexis Blévin, maire de Pléneuf-Val-André (Côtes-d’Armor), pour qui l’assouplissement décidé par le gouvernement « est essentiel pour nos commerces qui souffrent énormément en cette période de confinement ». Sans qu’elle ne permette de rattraper complètement les pertes financières accumulées, la mesure contribue au renforcement des chiffres d’affaires en marge d’autres dispositifs déployés par la commune. L’édile mentionne un accompagnement individuel pour aider les commerçants à obtenir les différentes aides disponibles, une campagne de promotion commerciale locale, le projet de création d’un site internet pour le click and collect et la piétonisation de certaines zones afin de permettre une extension des commerces sur le domaine public. « Compte tenu de la crise sanitaire que nous rencontrons, poursuit-il, l’hypothèse d’une ouverture le dimanche au-delà du mois de décembre pourrait permettre de renforcer l’activité économique de notre pays et redonnerait un souffle aux acteurs économiques locaux de nos communes. »

Vers une réflexion plus globale sur nos modes de travail ?

Quid, en effet, d’une pérennisation de cet assouplissement après décembre ? Faut-il aller plus loin ? Pour Pierre-Yves Bournazel, député et conseiller de Paris, « il faut être pragmatique ». En période de crise sanitaire d’abord, « pouvoir travailler le dimanche est une bonne solution pour continuer à faire du chiffre d’affaires et à se développer, pour rattraper beaucoup de retard ». Le parlementaire propose, en outre, la création d’un fonds de garantie de paiement des loyers afin de permettre au propriétaire ou au bailleur d’être payé tout en protégeant le commerçant locataire. Au-delà du contexte épidémique ensuite, l’ouverture des commerces le dimanche est, pour l’élu, une option qui peut être pérennisée. « Souvent, expose-t-il, les individus qui ne consomment pas le dimanche ne reportent pas leur consommation dans la semaine, c’est de la croissance et du développement perdus. » Il se déclare favorable à ce que tout le territoire parisien soit classé en zone touristique internationale, offrant la possibilité d’ouvrir le dimanche. Ailleurs, « cela dépend des zones géographiques, il faut permettre de le faire en bonne intelligence avec les différents partenaires locaux ». Autrement dit, il s’agit d’examiner, selon les villes et les régions, si des stratégies territoriales peuvent être construites en concertation avec les chambres de commerce et d’industrie, les élus locaux, les associations de quartier et de commerçants. « Moi, je suis pour la liberté de choix », assure Pierre-Yves Bournazel.

Ce sentiment d’une évolution profonde est partagé par Yann-Maël Larher, docteur en droit social et conseiller municipal délégué à Boulogne-Billancourt. « La généralisation des dispositifs numériques et les habitudes de consommation des individus entraînent un bouleversement dans tous les métiers, y compris ceux qui ne les utilisent pas. » L’élu, par ailleurs expert auprès de l’Institut Sapiens, constate que les enseignes en ligne fonctionnent 7j/7 et 24h/24 quelle que soit la législation en vigueur. « C’est tout leur succès ! », analyse-t-il. « Si nous voulons sauver les commerces physiques et les emplois qui y sont attachés, il est indispensable de prendre en compte cette évolution fondamentale », car « le monde change et le e-commerce va continuer à croître dans les prochaines années »

Mais, à ne pas s’y méprendre, l’expert précise que « demander à ses salariés de travailler le dimanche n’est pas anodin car il faut aussi respecter l’équilibre familial et social ». C’est pourquoi le CdCF, promoteur d’une libéralisation de l’ouverture des magasins le dimanche et en soirée sous réserve d’accord social (accord collectif ou référendum), rappelle le caractère volontaire du travail dominical et l’imposition de contreparties au bénéfice du salarié. Faute d’accord collectif ou de décision unilatérale de l’employeur approuvée par référendum, chaque salarié concerné bénéficie d’un repos compensateur et reçoit une rémunération au moins égale au double de celle normalement due. « Même si la crise sanitaire a durement frappé les commerçants, ils respecteront leurs engagements à l’égard de leurs salariés », conclut William Koeberlé.

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