yann huaumé
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Saint-Sulpice-la-Forêt : un smart village sous le signe de la transition énergétique

Saint-Sulpice-la-Forêt, située dans la métropole rennaise, a reçu en décembre 2017 le label or des territoires innovants à l’occasion du forum des Interconnectés. 1 500 habitants seulement et pourtant des idées à revendre : au point de susciter la curiosité des très grands, à l’instar d’une délégation dépêchée de Shanghai pour s’inspirer des réussites de la commune. Entretien avec Yann Huaumé, maire de Saint-Sulpice-la-Forêt et vice-président « numérique et ville intelligente » de Rennes Métropole, à l’initiative du projet « Smart Saint-Sulpice ».

La Revue des territoires – Depuis 2016, vous portez le projet « Smart Saint-Sulpice » avec une réussite qui fait des émules et dépasse les frontières nationales. D’où vient cette ambition smart city pour Saint-Sulpice-la-Forêt ? S’agit-il d’une demande forte des habitants, d’une appétence personnelle ? Quelle a été votre inspiration pour initier un tel virage ?

Yann Huaumé – Le projet « Smart Saint-Sulpice » est né d’une situation qui croise trois éléments. Le premier, c’est une tension économique très forte de la collectivité, nécessitant de trouver des solutions d’économies dans tous les domaines, y compris énergétique. Nous avions une augmentation mécanique de 9 à 10 % par an des coûts d’énergie.

Le deuxième sujet a été une fuite d’eau dans la salle polyvalente constatée sur facture, c’est-à-dire un an après sa survenance. C’était l’équivalent de la consommation de dix piscines. Troisième point, celui de l’engagement de la collectivité dans la transition énergétique avec la signature de la Convention des maires, qui fixe tant au niveau européen que métropolitain des objectifs en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

Pourquoi partir alors sur de l’IoT [NDLR : internet des objets ou objets connectés] ? On se dit qu’il nous faut des données en temps réel ainsi que des systèmes de pilotage et de télémesure pour pouvoir intervenir. Lors des premières préfigurations de ce type de solutions, nous nous rendons compte que les éléments budgétaires sont, à l’époque, hors propos. Le choix de la collectivité a donc été de trouver, dans le territoire rennais, des start-up ou des PME qui travaillent sur le sujet.

Et l’avantage d’un petit village, c’est que l’on peut croiser les bonnes personnes : notamment Ulrich Rousseau, dirigeant de Wi6Labs et habitant de Saint-Sulpice-la-Forêt. Pour 20 000 €, nous souhaitions trouver une solution qui ne nécessitait pas de tout recâbler et de tout refaire. Il nous répond avoir « un truc » en laboratoire, impliquant la technologie LoRa : en 2014/2015, quand nous commençons à réfléchir au sujet, les solutions « sur étagère » n’existent pas encore.

Aussi nous mettons-nous d’accord pour développer le projet à l’échelle d’une collectivité et de coconstruire les éléments d’usage de la donnée. Dans l’équipe municipale, à ce moment-là, il y a une appétence et des connaissances autour du numérique. Toutes les réponses technologiques ne sont pas bonnes à prendre, mais celle-ci nous paraissait intéressante. Cela reste une technologie assez frugale.

La RDT – Votre première initiative a-t-elle donc été de mettre en place une infrastructure de type réseau LoRa ?

Y. H. – La première initiative, sur le plan technique, a été en effet de poser une infrastructure LoRa. Sur le plan de la gouvernance, cela a été de coconstruire un cahier des charges avec Wi6Labs, Alkante, Télédiffusion de France (TDF), l’Agence locale de l’énergie et du climat (Alec) et Rennes Métropole, dans lequel nous avons inscrit les éléments de cadrage politique et technique.

Nous nous sommes autorisés à considérer qu’il s’agissait d’une expérimentation, avec le droit de nous tromper. Et il a fallu trouver un cadre juridique et réglementaire permettant cela. Nous avons donc agrégé différentes institutions et personnes pour coconstruire la solution. C’est peut-être l’un des éléments de l’expérimentation les plus intéressants, avant même la question du technique : si Wi6Labs avait le savoir-faire technique, demeuraient l’enjeu du passage de la technologie à un usage et les problématiques liées aux formats de données ou aux interfaces.

Nous avons travaillé avec l’Alec pour disposer d’une approche thermicienne, avec Rennes Métropole pour aborder la question des flux, etc. Nous avons mélangé un peu tout le monde pour que le projet réponde à nos objectifs : 25 % d’économies d’énergie, souveraineté de la donnée parce qu’elle a de la valeur et que la collectivité doit la garder, interopérabilité et réplicabilité à grande échelle.

Nous sommes dans un système gagnant-gagnant : nous avons de notre côté une évolution favorable de notre situation énergétique, et les entreprises peuvent construire du leur un modèle économique viable. Le but du jeu étant donc que « Smart Saint-Sulpice » soit réplicable à d’autres échelles. D’autant plus que cette solution a été construite en lien avec la métropole afin de nourrir ses propres réflexions et offrir des perspectives de déploiement aux autres communes.

La RDT – Quelles ont été les phases successives de mise en œuvre du projet « Smart Saint-Sulpice » ?

Y. H. – La phase 1 portait sur la remontée de données, grâce à des capteurs, sur toutes les dimensions des fluides (eau, gaz, électricité, etc.) : nous avons, depuis 2016, agrégé quatre ans de données disponibles sur trois interfaces différentes.

Une interface grand public d’abord, où les habitants peuvent voir les économies réalisées d’une année à l’autre. Il y a une volonté de transparence et de lisibilité. La solution doit parler à des publics différents. En parallèle de cette phase 1, nous avons organisé avec l’Alec des animations à l’école car la question de l’énergie n’est pas qu’une solution technique, mais également une question d’éducation, de formation et de compréhension.

Une deuxième interface dédiée aux élus ensuite, où l’on peut voir le niveau d’usage et des tableaux sur les économies financières réalisées. Une troisième interface enfin, adaptée aux services techniques pour leur permettre de piloter les systèmes d’alerte, capteur par capteur, pour vérifier que tout fonctionne.

Aujourd’hui, nous avons atteint 25 % d’économies d’énergie par rapport à 2015. Nous entamons donc une deuxième phase du projet, qui est une nouvelle expérimentation avec Wi6Labs et Alkante sur un pilotage des systèmes de chauffage électrique via le réseau LoRa, sans automate. Cette phase 2 obéit à une approche très thermique. Nous allons changer l’ensemble des radiateurs électriques, car une grande partie d’entre eux ne sont pas pilotables aujourd’hui, et nous avons eu des fonds de soutien de l’État sur ce projet.

Nous menons d’abord une expérimentation à l’échelle de la mairie avec, dans les deux prochaines années, un déploiement à plus grande échelle dans la salle polyvalente, la cantine et peut-être l’école. L’objectif est de 40 % d’économies d’énergie d’ici trois ans. La dernière phase, la troisième, interviendra à plus long terme. Nous déploierons du photovoltaïque pour viser l’autoproduction. Nous allons commencer à la préparer ces trois prochaines années, pour la mettre en opérationnalité entre 2023 et 2026.

Pourquoi trois phases avec des temps de décalage ? Parce que les économies générées par chaque phase permettent d’améliorer notre capacité d’autofinancement et donc de dégager de nouvelles lignes d’investissement. Notre démarche est circulaire : nous investissons, nous faisons des économies et nous réinvestissons ces économies pour en réaliser de nouvelles. L’idée étant d’atteindre peut-être à la fin un modèle zéro.

La RDT – Êtes-vous aujourd’hui complètement propriétaires de votre infrastructure LoRa ?

Y. H. – Nous sommes complètement propriétaires de l’infrastructure, du matériel et des données. Nous avons une licence auprès de Wi6Labs et Alkante pour l’usage de la solution, qui elle ne nous appartient pas. En parallèle, le projet « Smart Saint-Sulpice » a fait des petits, ce qui est très bien. Il a permis à la métropole de gagner en maturité sur le sujet, et il y a désormais un réseau LoRa métropolitain. Celui-ci sert sur la partie déchets et sur la télérelève des bacs d’apport volontaire. Nous savons qu’il sera possible de développer de nouveaux services via le réseau LoRa du projet métropolitain.

Pourquoi s’être doté d’un réseau en propre dans un village de 1 500 habitants ? La petite échelle permet d’être agile, de la souplesse et facilite les relations entre les éléments de gouvernance et les éléments techniques. Nous sommes, en nombre de capteurs et de bâtiments, à une échelle plus simple pour expérimenter. Quand j’ai rencontré le maire de Shanghai, il me parlait de 230 gateways et de 5 000 capteurs, juste pour sa phase d’expérimentation. Nous, nous avons deux antennes, deux gateways et trente capteurs. À terme, nous devrions en arriver à une centaine.

La RDT – Dans le cadre de ce projet smart city, la dimension énergétique prédomine. Vous avez cependant parlé d’éducation et de formation : avez-vous pour ambition de déborder le champ de l’énergie pour investir, grâce à la smart city, des sujets de participation citoyenne ou autre ?

Y. H. – Le projet est pour l’instant cantonné aux aspects énergétiques parce que nous sommes dans une phase de recherche d’opérationnalité et de modèle économique. Et nous nous étions engagés dans le cadre de la Convention des maires à intervenir sur ce sujet. Mais nous restons ouverts à d’autres usages. Nous avons eu la labellisation « WIFI4EU » et des points WiFi sont présents dans quasiment toute la commune. J’appelle cela ne pas tourner le dos au monde numérique et technologique, il n’y a pas que les mégapoles qui doivent se préoccuper de ces questions.

Après, nous avons aussi essayé des démarches participatives : nous avons intégré sur notre site les comptes-rendus de nos réunions participatives ainsi que les supports de présentation, mais pour moi cela ne relève pas de la smart city, c’est juste de la transparence politique. Il ne faut pas non plus tout mettre dans le vocable de smart city.

La question des autres usages se pose davantage à l’échelle métropolitaine. Notamment si l’on veut fournir des applications donnant de l’information en temps réel aux citoyens sur le nombre de places à la piscine, dans les parkings, etc. Il y a des choses intéressantes à faire. Pas sur tout, et nous devons veiller à ce que cela ait du sens. Il faut partir de l’usage et du besoin. À l’échelle de la commune, la question de l’énergie représente déjà un gros sujet.

La RDT – Vous effectuez votre deuxième mandat. Quelle perception avez-vous de la réception par vos administrés du projet smart city ? Des craintes ou des appréhensions sont-elles exprimées ?

Y. H. – Nous n’avons eu aucune remontée négative, aucune plainte, bien au contraire. Je pense que c’est lié à la manière dont nous avons piloté le projet. Je parlais de la question de l’information, des temps d’échange, mais aussi du sens. Tout le monde est à peu près d’accord pour dire que la transition écologique et énergétique est un sujet d’actualité. Quand on présente aux citoyens un projet permettant de faire des économies d’énergie tout en préservant les deniers publics, ils y trouvent du sens.

Le deuxième point est que les articles de presse qui en résultent, la communication nationale et européenne, le fait d’être lauréat du prix des Interconnectés, du prix Marianne ou du prix régional du développement durable, tout cela construit une identité positive. Les habitants sont fiers d’habiter un petit village qui fait la une de certains magazines et qui est reconnu à l’échelle nationale, voire européenne, sur sa capacité à créer de l’intelligence sur ces questions de transition.

Ce qui fonde aussi la dimension positive du projet est que nous ne sommes pas dans une posture langagière : on fait. C’est une approche opérationnelle, pas que pragmatique parce que dans le pragmatisme l’on pourrait considérer que les questions politiques et idéologiques sont mises de côté. Je pense que c’est surtout une mise en opérationnalité de nos valeurs et de nos convictions.

La RDT – Vous évoquiez un retour sur investissement en trois ans, 20 000 € de financement et trois jours de travaux seulement : est-ce si facile de mettre en place une smart city ?

Y. H. – C’est aujourd’hui plus facile. Entre 2014 et 2020, six ans se sont écoulés et c’est énorme à l’ère de l’évolution technologique. Les élus qui veulent se lancer ont un environnement numérique autour de l’IoT et de la smart city sur lequel ils peuvent s’appuyer. Quand nous avons commencé, cela n’existait pas « sur étagère ». L’énergie a été partagée : nous avons mis énormément de temps à coordonner et à piloter ce projet avec l’ensemble des acteurs. Les entreprises ont fait de même.

Le coût payé n’est que le prix du matériel. Le temps humain de l’ensemble des acteurs privés ou publics n’a jamais été compté car nous étions dans un système expérimental. Si nous avions dû compter notre temps, nous serions plus proches des 150 000 € que des 20 000 €. Parfois, on me dit que cela marche chez nous mais pas ailleurs : il y a une question de volonté. Dit différemment, on peut avoir la meilleure technologie du monde, s’il n’y a personne derrière pour s’en occuper il ne se passera rien. Si l’on n’inscrit pas à l’agenda la question de la transition énergétique et des économies d’énergie, la technologie ne va pas nous sauver.

Il y a une question d’engagement et non de taille de commune, c’est ce que nous voulions démontrer dans le projet. Les solutions sont parfois plus pertinentes à petite échelle qu’à grande échelle, il ne faut pas hésiter à se lancer. Nous avons la chance d’avoir un écosystème très riche dans le pays de Rennes. Dès le départ, nous voulions travailler avec des acteurs locaux. Cela facilite plein de choses et fait vivre le territoire. Les économies générées permettent de relocaliser des dépenses dans les circuits locaux. En termes de développement du tissu économique local, je pense qu’il y a du sens à investir de cette manière. 

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