Mairie de Paris
Vie publique

L’institution municipale, levier ou tombeau de l’écologisme galopant ?

Dans un contexte confus, et après un second tour des élections municipales tenu à près de trois mois de distance de la première manche, les écologistes se retrouvent à la tête de deux millions d’administrés. Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble et le 12ème arrondissement de Paris sont déjà tombés dans l’escarcelle verte, et la situation, encore instable à Marseille, pourrait tourner en faveur de ces derniers, dans le cadre de leur participation à l’alliance transpartisane du Printemps Marseillais conduit par Michèle Rubirola. Une victoire et une percée historique pour EELV qui n’est pas sans faire écho à leur succès d’estime à l’occasion des Européennes de 2019, où la liste conduite par Yannick Jadot est parvenue à s’intercaler entre LaREM et LR. Si 2019 pouvait s’apparenter à un remake de 2009, avec la percée de la liste Europe écologie conduite par José Bosé, Daniel Cohn-Bendit ou encore Eva Joly, la donne est singulièrement différente aujourd’hui.

Du symbole aux oboles

Entre le pouvoir, somme toute symbolique d’un Parlement européen et l’institution municipale, avec ses prébendes, son cortège d’employés municipaux, ses appels d’offre et sa capacité à agir sur le territoire (et l’on pense notamment ici à l’épineuse problématique des permis de construire et autres PLU), il est peu dire que l’écologisme politique devrait solidement s’arrimer et s’ancrer dans le paysage local et politique dans les prochains mois. Si les ressorts d’une victoire politique demeurent toujours impénétrables, n’en déplaisent aux sondeurs et autres experts patentés de l’opinion qui pullulent sur les chaînes d’information en continu et autres Zoom (the new chic) pour réciter les habituels poncifs sur l’opinion publique, les leviers du pouvoir eux sont concrets et tangibles.

Si Emmanuel Macron constitue, à n’en pas douter, un formidable contre-exemple à notre propos, avec une victoire out of nowhere et hors-sol (sur le plan purement politique s’entend) sur l’ancien édifice politique (bien que ce dernier, avec la foi du converti, n’ait pas manqué de se recycler dans le macronisme triomphant et irradiant), la conquête du pouvoir en France a toujours fait du local un pilier et un tremplin. De toutes les élections électives, seule celle de maire permet de s’emparer de citadelles, là où les autres sont, par maints égards, trop éloignées du cœur vibrant (et sonnant et trébuchant) de la vie démocratique.

L’écologisme français soluble dans l’institution municipale ?

Les travaux du politiste Rémi Lefebvre, consacrés essentiellement aux communes du nord de la France, ont grandement contribué à faire évoluer la perspective concernant les arc-boutants du socialisme français, en mettant en avant l’idée que ce dernier, au cours de son histoire, a très fortement été marqué par l’institution municipale. Pour le chercheur, « c’est dans la force sociale de l’institution municipale et la prégnance des contraintes, autant que des ressources, qui en sont au principe, qu’il faut rechercher l’origine des particularités de ce parti ».

Dans la suite de sa démonstration, Rémi Lefebvre met notamment l’accent sur la solubilité des militants politiques dans l’institution municipale, avec cette dernière qui, progressivement, a pu s’identifier à l’appareil militant dans certaines municipalités nordistes. « Les rétributions du militantisme deviennent avant tout municipales » et, comme le précise le chercheur, « dans ces conditions, la sensibilité des employés-militants est très forte à tout ce qui pourrait mettre en cause la domination socialiste locale, à laquelle ils doivent non seulement leurs positions sociales, mais aussi celles de leur famille ».

Comme en toute chose, il n’est jamais très heureux de dresser des comparaisons hâtives, et de mettre au même niveau le courant écologiste et le socialisme, et tout particulièrement sa dimension municipale. Pourquoi le socialisme ou l’écologie seraient-ils davantage solubles dans l’institution municipale que le (néo)-gaullisme, le régionalisme, la social-démocratie ou les différentes branches issues du libéralisme ? Quant aux dérives du socialisme municipal, entre clanisme, clientélisme et affairisme, qui ont contribué à fracturer et ronger de l’intérieur nombre de municipalités, et pas seulement dans le Nord, on est tenté d’en voir moins la résultante de la composante socialiste, que la résultante inéluctable de toutes combinatoires entre groupes politiques et institution de pouvoir.

De manière pessimiste et cynique, mais du coup sûrement très réaliste, on peut raisonnablement considérer que tout processus électif n’est jamais qu’une version codifiée, cadrée et aseptisée des phénomènes révolutionnaires, et qu’à l’instar des révolutions les triomphes électoraux, derrière les promesses de changement, en viennent le plus souvent à se nier et à recréer, à nouveaux frais, le monde qu’il s’agissait d’abattre. Il n’est qu’à se replonger dans les premiers romans de Malraux, et notamment Les Conquérants, ou à ouvrir quelques manuels d’histoire, pour se convaincre du côté inéluctable de cette dynamique sociologique.

Orbis et clientela

Quoi qu’il en soit, et sauf à présupposer que les écologistes témoigneraient d’une exemplarité morale leur permettant d’éviter les inclinaisons par lesquelles sont passés jusque-là leurs devanciers, on est en droit de postuler que ces derniers ne manqueront pas de tirer parti de leurs nouvelles positions municipales pour consolider leur clientèle jusque-là embryonnaire. Il n’est pour s’en convaincre qu’à se plonger dans les travaux de l’universitaire Jean-Louis Briquet, consacrés au clientélisme, pour  comprendre que les avantages induits sont aussi, et surtout, au service d’un renforcement circulaire du pouvoir en place. Dans leur ascension, dont il est encore trop tôt pour la caractériser comme irrésistible, les écologistes n’ont jamais manqué de s’appuyer sur les réseaux associatifs, militants ou encore culturels. Si nous nous garderons bien de questionner la légitimité et la sincérité de leurs convictions, on peut toutefois considérer que ces différentes sphères ne seront pas les dernières à être oubliées par les municipalités arborant la bannière verte.

Si la droite, encore qu’on ne sache guère plus ce que cette notion revêt et si elle est encore pertinente en science politique, a toujours eu un lien compliqué et relâché avec la société civile, lui préférant « les grandes familles » à la Maurice Druon (mise à part la parenthèse, quelque peu fantasmée, du métro à 6h et du RPF selon Malraux), cela est l’exact contraire pour les écologistes qui passent sans aucun problème du champ associatif à celui de la politique. Or, avec la professionnalisation accrue des ONG, devenues dans les faits, pour certaines, de véritables entreprises (Oxfam compte 10 000 salariés et 50 000 bénévoles selon Le Monde), on peut, à raison, se questionner sur les liens incestueux qui unissent ces dernières avec des acteurs politiques, de la même manière que la sociologie et la science politique n’ont jamais manqué de s’interroger sur les liens entre partis politique et grandes entreprises.

Quoi qu’il en soit, et sans tomber ni dans le déterminisme, ni dans le fatalisme, on peut considérer que les mêmes structures et les mêmes causes produiront très certainement les mêmes effets, et que les chutes de citadelles, survenues le week-end dernier, ne manqueront pas d’être suivies par l’érection de nouvelles places fortes. Des places fortes qui, contrairement à celles qu’elles remplacent, auront des façades végétalisées et seront accessibles à vélo.

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