Philippe Duron : « Il faut donner à tous les territoires une solution de déplacement »

Ancien président du conseil régional de Basse-Normandie, député-maire de Caen et président de Caen la Mer, Philippe Duron demeure spécialement investi dans la définition des politiques de transport de demain. Il copréside en effet TDIE, un think tank dédié aux mobilités, et s’est vu confier une mission par le ministre Jean-Baptiste Djebbari sur l’avenir des déplacements en commun en France. Il met en lumière, pour La Revue des territoires, les enjeux que la thématique des transports revêt pour nos territoires.

La Revue des territoires – Vous avez souligné, dans une tribune publiée récemment, trois défis que pose le sujet des transports à l’approche des échéances locales de ce mois de juin. En quoi est-il important que les mobilités se trouvent au cœur des débats relatifs aux élections à venir, en particulier régionales ?

Philippe Duron – Depuis vingt ans, les régions sont de plus en plus investies en matière de mobilités. Cela a commencé avec la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU), en leur transférant par voie législative les transports express régionaux (TER). Cela s’est, dès lors, constamment approfondi. Parmi les avancées les plus récentes, on peut citer bien sûr le transfert des transports routiers, notamment scolaires, au bénéfice des régions.

En parallèle, c’est tout le champ de la gouvernance qui est venu consolider la place des régions dans le monde des mobilités. Elles sont aujourd’hui les chefs de file de l’intermodalité. Et cela va même plus loin, puisqu’elles assument un rôle clé dans l’architecture et la réglementation des transports dans les territoires. Le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) comporte un volet consacré à la question. La loi d’orientation des mobilités (LOM), quant à elle, permet aux régions de se substituer aux intercommunalités qui choisiraient de ne pas se constituer en autorités organisatrices (AOM).

En définitive, sur le plan à la fois des compétences et de la gouvernance, les régions occupent une place singulière dans l’organisation des transports, quoique seconde derrière l’État. L’aspect budgétaire traduit le rôle majeur qu’elles assurent : les mobilités sont devenues le principal poste de dépenses de la plupart des régions françaises. En moyenne, cette part s’élève à 25 % de leur budget total.

Certaines, de façon optionnelle, ont choisi à partir de 2007 de se saisir de compétences afférentes aux ports, de commerce comme de pêche, ou aux aéroports, dans des structures regroupant les départements et les agglomérations. La Bretagne, par exemple, est très présente dans le domaine aéroportuaire. Alors président de la région Basse-Normandie, j’avais pris la compétence des ports de Cherbourg et de Caen-Ouistreham en créant Ports Normands Associés, qui s’est désormais enrichi de la présence de Dieppe.

Sans oublier la loi 4D qui va permettre aux régions de prendre la compétence, si elles le souhaitent, d’une partie du réseau national non concédé. C’est dire l’étendue du bouquet de compétences sur lesquelles elles sont investies. Le dernier exemple, enfin, est celui des mobilités actives : elles sont en charge d’un schéma régional des véloroutes, qui complète celui établi au niveau national.

La RDT – Au regard de cette vaste palette que vous décrivez, estimez-vous que le sujet des transports demeure insuffisamment traité dans les débats pré-électoraux ?

Ph. D. – Je pense que les élections régionales constituent la consultation où l’on parle le plus de transports. Avec TDIE, nous interrogeons les candidats aux présidentielles, les têtes de liste aux européennes ainsi que les futurs élus municipaux par sondage. Mais de tous ces échelons, c’est au niveau des régions que nous retrouvons les intentions et les déclarations les plus ambitieuses en matière de mobilités. Les élections de cette année sont malgré tout particulières : la campagne est perturbée, les alliances sont difficiles à constituer et la pandémie occulte certains débats.

La RDT – À quel point la crise sanitaire modifie-t-elle notre rapport aux mobilités ? Y aura-t-il un monde d’après pour les transports ?

Ph. D. – La crise sanitaire a eu un effet brutal sur les mobilités, avec un effondrement de la fréquentation et des recettes des transports en commun, surtout pendant le premier confinement. Nous sommes loin d’avoir retrouvé les niveaux de fréquentation et de recettes de 2019. C’est particulièrement pénalisant pour les régions, là où les agglomérations disposent d’un financement puissant au travers du versement mobilité. Les régions, en dehors de l’Île-de-France, n’en bénéficient pas et doivent assumer la totalité des difficultés.

Quant à savoir si la crise va affecter les transports dans le temps, je rappelle qu’il a fallu deux ans après la crise de 2008 afin de retrouver un même niveau de fréquentation pour de nombreuses mobilités. C’est un motif réel d’inquiétude pour l’avenir. Il faut d’abord redonner confiance aux usagers dans les transports. Cette confiance a été en partie altérée par le risque de contagion, accru lorsque nous nous trouvons les uns à côté des autres. Les opérateurs de transport ont déployé d’importants efforts, coûteux, pour mettre à disposition du public du gel hydroalcoolique, pour multiplier les temps de nettoyage des rames, pour diffuser des campagnes de sensibilisation, etc. Il n’en demeure pas moins que de nouvelles habitudes sont nées pendant la pandémie. Une reconquête de la confiance des usagers doit s’imposer.

Ensuite, certaines personnes ont adopté des choix nouveaux, en termes de mobilités, et ont fait des découvertes. Celles et ceux qui ont acquis un vélo à assistance électrique, ou qui se sont essayés à la marche, se sont rendus compte de l’agrément, des bienfaits et de l’efficacité de tels modes alternatifs sur des distances de quatre ou cinq kilomètres. Aux heures de pointe, il est tout à fait possible de se déplacer plus vite en vélo électrique qu’en voiture – et pour un coût plus modeste ! Je ne pense pas qu’on atteigne un même taux d’adoption qu’à Copenhague d’ici cinq ans, une ville où la pratique du vélo est ancienne et ancrée dans la culture de déplacement. Mais il est souhaitable qu’un maximum de personnes continuent à avoir recours au vélo dans notre pays.

La RDT – Il est de plus en plus question de mobilités douces, de mobilités actives ou bien encore de mobilités alternatives, autant de qualificatifs qui essaiment dans les médias. Observez-vous, depuis plusieurs années, des changements de comportement significatifs chez les Français dans leur façon de se déplacer et dans leur rapport à la voiture ?

Ph. D. – La crise sanitaire a été un accélérateur pour beaucoup de choses. Elle l’a été pour les mobilités actives, dont la tendance existait déjà avant. Cela fait une douzaine d’années que les grandes villes disposent d’une politique cyclable. Cela est notamment dû à l’entrée d’élus écologistes, à la fois pédagogues et volontaristes, dans les conseils municipaux. À Caen, on peut facilement être surpris par le nombre de cyclistes circulant en période de congestion. Et le phénomène ne concerne pas seulement les trentenaires ou les quadragénaires, mais également les seniors.

La RDT – La loi LOM a redistribué les cartes de la compétence mobilité, en donnant la possibilité aux intercommunalités de monter en puissance sur les politiques de transport. Est-ce une bonne chose ? Quelle appréciation faites-vous de cette direction ainsi donnée ?

Ph. D. – Je pense que c’était audacieux mais nécessaire. Audacieux parce que les collectivités qui avaient une compétence en matière de mobilités étaient réduites, en ce qui concerne les villes, aux plus grandes d’entre elles. Pour le reste, les régions géraient les trains, les départements s’occupaient des réseaux routiers, tandis que les petites communes bénéficiaient ou non du système qu’on mettait à leur disposition. Elles n’étaient pas réellement parties prenantes.

Aujourd’hui, la réforme oblige toutes les collectivités qui ont décidé de s’en saisir à réfléchir à ce qu’est la mobilité. Elles sont ainsi contraintes d’œuvrer à des solutions adaptées à leur population, de manière à améliorer l’ensemble du système. Cela peut être la création de voies cyclables pour circuler plus sûrement dans le territoire de l’intercommunalité, l’amélioration de la marche avec des trottoirs appropriés, l’entretien des chemins pour favoriser les randonnées ou bien des lignes de covoiturage avec les communautés de communes voisines. C’est une façon d’améliorer le quotidien des populations, de sécuriser leur déplacement et d’imaginer des modes de transport solidaires pour les personnes seniors ou atteintes d’un handicap.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de porter des projets qui ne soient pas dimensionnés pour des communautés de communes parfois peu peuplées. Mais des politiques font déjà l’objet de financements pouvant servir des enjeux de mobilité. Je pense aux ressources affectées aux voiries qui sont susceptibles de faciliter certaines solutions de transport : une piste cyclable est autant une dépense de voirie que de mobilité.

La RDT – L’équité territoriale représente l’un des grands défis auxquels se proposent de répondre les politiques de transport. Comment assure-t-on aux Français une égale liberté et facilité de déplacement ?

Ph. D. – Il faut donner à tous les territoires une solution de déplacement. Quand vous êtes à Bordeaux, Lyon ou Paris, vous avez accès à une palette complète de moyens de déplacement. Il n’est évidemment pas possible d’offrir une offre aussi diversifiée dans les territoires ruraux. Mais il est impératif que ces territoires puissent être dotés d’un mode de transport sûr, accessible et efficace. Cela va de l’autocar au transport à la demande, en passant par des lignes de rabattement vers les gares. L’enjeu est de permettre à tout le monde de se déplacer, que l’on soit jeune ou moins jeune, valide ou non.

Nicolas Germain

Nicolas Germain est entrepreneur, fondateur du Cabinet 37. Il a connu de premières expériences auprès de l'Inspection générale des finances, de la CCI France-Afrique du Sud, de la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à New York et d'un cabinet de conseil parisien. Diplômé de l'ESSEC après deux années de classes préparatoires à Louis-le-Grand, il est par ailleurs titulaire d'une maîtrise en droit public de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. Nicolas Germain préside, en outre, le club politique indépendant des Vendredis de la Colline.