“Les pouvoirs publics attendent des entreprises qu’elles contribuent à l’action publique en étant des éclaireurs de la décision publique et des porteurs de solutions sur le terrain” (Guilhaume Jean)

Dans une interview qu’il a accordée à La Revue des territoires, Guilhaume Jean, Manager en Affaires Publiques et Communication au sein du cabinet WEMEAN, (spécialisé dans le conseil aux dirigeantes et dirigeants d’entreprises), Président de l’association des “Jeunes Lobbyistes” et enseignant à Sciences Po Paris, revient sur les grandes tendances qui animent le monde du lobbying, du digital à l’intervention accrue dans les territoires. Dressant le constat d’une disparition progressive de la frontière entre le public et le privé, Guilhaume Jean estime que celle-ci est propice à l’émergence de nouvelles formes de travail et d’interactions bénéfiques à l’ensemble des parties prenantes, à condition d’adopter un discours de contribution, de proximité et de concret sur le terrain.

La Revue des territoires – Le lobbying continue parfois de pâtir en France d’une image dégradée, tant a longtemps perduré l’idée que seul l’État disposerait du monopole de l’intérêt général. Qu’en est-il aujourd’hui ? La frontière public-privé est-elle toujours aussi marquée ?

Il y a un paradoxe entre la valeur ajoutée qu’apportent les professionnels du lobbying aux pouvoirs publics (en matière d’expertise, d’idées et de solutions) et la méconnaissance générale de cette proposition de valeur. De cette méconnaissance, bon nombre d’idées reçues germent mais ne reflètent donc pas la réalité des interactions techniques entre lobbyistes et décideurs politiques. 

Mais je crois que la crise sanitaire a permis de démontrer que la frontière public-privé ne servait pas le bien commun ni l’intérêt général. En réalité – et si frontière il y a – elle est avant tout poreuse et de nombreuses relations de travail existent entre ces deux mondes qui ont tout intérêt à se parler pour mieux se comprendre et co-construire ensemble.

Tous parties-intégrantes du problème ? Tous parties-prenantes de la solution ! Une fois sur le terrain, nous avons toutes et tous intérêt à travailler ensemble, en temps d’urgence pour produire des masques comme au fil de l’eau pour co-porter des projets dans les territoires. C’est une réalité économique et institutionnelle que nul ne peut dénier aujourd’hui : l’enjeu porte désormais sur la méthode d’interactions avec les pouvoirs publics.

La Revue des territoires – Comment le métier des affaires publiques évolue-t-il dans la pratique aujourd’hui ?

Le métier s’est largement professionnalisé avec la structuration de directions dédiées ou de cabinets de conseils, l’application proactive de chartes déontologiques et l’avènement de nouvelles générations de professionnels des affaires publiques, formées aux stratégies et aux outils du lobbying ; et notamment regroupées au sein de  l’association des « Jeunes Lobbyistes » où nous sommes près de deux cents professionnels des affaires publiques de moins de 35 ans à échanger régulièrement sur nos métiers lors de nos évènements et master-class.

Une des évolutions structurelles du métier est aussi l’apparition croissante de l’échelle locale : du fait de la revalorisation politique et économique des collectivités territoriales, la décision publique locale impacte de plus en plus les projets des entreprises dans les territoires. De fait, le territoire est devenu tant une échelle d’action que d’interaction pour les lobbyistes : une échelle d’action car le territoire est le lieu de la preuve où l’on peut porter un projet ou expérimenter des solutions ; une échelle d’interaction car il devient nécessaire désormais d’échanger avec les pouvoirs publics locaux, tant avec le Maire d’une commune que le Directeur Général des Services d’une Métropole, le Vice-président d’une Région ou encore des syndicats mixtes.

D’ailleurs, je note avec beaucoup d’intérêt le développement de pratiques de sensibilisations héritées des campagnes électorales dans les stratégies de lobbying territorial : des acteurs privés n’hésitent plus à conduire des opérations de sensibilisations et de convictions sur le terrain afin de convaincre directement les administrés. Par exemple, des campagnes de porte-à-porte sont organisées pour vanter les mérites (ou défendre le mal-fondé) d’un projet d’infrastructures, avec des argumentaires clés-en-main et au sein de territoires très ciblés (parfois à l’échelle d’un bureau de vote ou d’un îlot urbain). Ceci à l’aide notamment des outils statistiques et de l’open data. Ces pratiques de campaigning, directement importées des campagnes électorales anglo-saxonnes et progressivement adaptées en France depuis 2016, sont appelées à devenir de puissants atouts de sensibilisation et de mobilisation, lorsqu’il s’agit de convaincre une population du bien fondé d’un projet (d’implantations d’infrastructures par exemple) sur un territoire identifié. On est encore en France au stade de l’épiphénomène, mais nul doute que cette tendance est vouée à se professionnaliser et se déployer en France.

Parallèlement, de nouvelles pratiques digitales tendent à émerger pour automatiser certaines tâches (de la veille institutionnelle principalement) : ces outils viennent en réalité compléter l’intelligence politique des lobbyistes, qui reste de décrypter l’enchevêtrement des normes, d’anticiper les risques et les opportunités et d’interagir avec empathie et conviction avec les pouvoirs publics.

Progressivement, ces hard skills classiques du lobbying se complètent de soft skills : celles de l’intelligence relationnelle, de la prise de parole en public ou encore de la créativité en équipe sont les plus plébiscitées aujourd’hui dans les missions d’affaires publiques.

La Revue des territoires – Qu’attendent les pouvoirs publics et les collectivités locales des entreprises ? Comment ces dernières peuvent-elles contribuer au bien commun ?

Les pouvoirs publics nationaux et locaux attendent des entreprises qu’elles contribuent à l’action publique en étant des éclaireurs de la décision publique et des porteurs de solutions sur le terrain. Les pouvoirs publics ne sont ni omniscients, ni omnipotents : ils ont donc besoin de l’expertise des entreprises pour identifier les freins à lever dans le territoire, ou les atouts à consolider. Qui mieux que l’entreprise pour aller dans ce degré de détail, d’analyse et de prescription sur le territoire ? L’enjeu est de pouvoir porter un diagnostic et une solution opérationnelle adaptée. C’est un véritable atout d’aide à la décision et à l’opinion qu’il faut savoir mobiliser auprès des pouvoirs publics dans une logique de partenariat et de contribution sociétale, et non purement sectorielle.

Mais pour cela, il est impératif d’adopter un discours de proximité et de concret avec les élus : il n’y a rien de pire que d’instaurer un dialogue abstrait avec les interlocuteurs publics du territoire où les intentions supplantent les résultats. Il faut a contrario adopter une posture de proximité avec les élus (se rendre disponible auprès d’eux pour répondre à leurs attentes, co-construire avec eux son projet pour le territoire, être authentique dans ses interactions institutionnelles) et de concrets (quels engagements positifs pour quels résultats, quels apports tangibles pour le territoire et ses acteurs) afin d’être identifié comme un partenaire crédible et durable du territoire.

C’est là toute la notion de « Lobbying Positif © » que nous portons chez WEMEAN auprès de nos clients dans leurs relations institutionnelles nationales et locales pour contribuer au bien commun tout en se faisant entendre et écouter par les pouvoirs publics.

La Revue des territoires – Comment les entreprises peuvent-elles se légitimer dans le débat public ? Au-delà des bonnes intentions affichées, comment convaincre l’opinion de la sincérité de ses convictions ?

Les entreprises légitiment leur parole dans le débat public par l’expertise qu’elles partagent auprès des pouvoirs publics et la contribution sociétale qu’elles proposent pour « faire avancer » la société. Il s’agit plutôt d’une logique de contribution (et non de pression ou de sollicitation) et de hauteur de vue sociétale qui englobe toutes ses parties-prenantes (et non purement sectorielle, qui ne traite que de ses seuls enjeux économiques).

Pour cela, l’entreprise doit mobiliser son expertise auprès des pouvoirs publics au sein de ce que l’on pourrait appeler un double leadership de vision (en portant des solutions et des idées au regard des diagnostics posés) et de vigie (en identifiant des obstacles à lever ou des signaux faibles à mieux considérer) : cette capacité à porter des diagnostics et des solutions au bénéfice du collectif est une valeur ajoutée fortement appréciée des pouvoirs publics ; encore plus dans les territoires où le besoin de réponses tangibles aux enjeux locaux sont de plus en prégnants.

Reste à convaincre de la pertinence et de la sincérité de son propos : l’adoption d’une logique de preuve et de transparence est alors à systématiser. La logique de preuve permet de renforcer la pertinence de son propos, en asseyant par exemple ses propositions sur la base d’arguments objectivés et de résultats tangibles – c’est-à-dire de chiffres et de retours d’expériences en prise avec la réalité sincère et indubitable du territoire. La logique de transparence permet, elle, de gagner en empathie auprès des pouvoirs publics, en communiquant avec authenticité sur la réalité de son projet, les engagements pris et les résultats obtenus.

La Revue des territoires – Les collectivités et les petites entreprises ont-elles, elles aussi, besoin de faire du lobbying ?

Oui, et elles l’ont bien compris car elles le font déjà !

Les petites entreprises mènent parfois des actions de lobbying à l’échelle locale, mais le plus souvent de manière isolée et sans réelles coordinations, par méconnaissance de l’enchevêtrement des échelles politiques sur le territoire ou de temps suffisant. Ce sont davantage les fédérations qui les représentent et qui portent leurs plaidoyers à l’échelle régionale et nationale.

Les collectivités territoriales, elles, opèrent de véritables batailles de lobbying auprès du Gouvernement, notamment lors des préparatifs des traditionnels projets de loi de finances, par les octrois de financements publics de l’État aux collectivités territoriales. Le plus souvent, elles véhiculent leurs argumentaires par le biais d’associations d’élus. Mais elles opèrent également des stratégies de lobbying en leur nom propre, et en particulier auprès d’acteurs européens pour l’obtention de financements publics, afin de se différencier et se valoriser.

Plus largement, cela amène à la question de la différenciation des collectivités locales et du sens qu’elles souhaitent donner à leur existence : certaines nouvellement créées, comme les Métropoles, souffrent d’une méconnaissance de leurs compétences par leurs administrés.

Si, hier, la loi Pacte donnait la possibilité aux entreprises de répondre au sens de leurs actions en définissant une raison d’être, il est temps pour les collectivités territoriales d’engager cette même réflexion : elles ont assurément tout à gagner à se saisir de cet outil pour répondre aux attentes en matière de sens, de différenciation et d’impact qu’attendent d’elles leurs administrés, et plus largement leurs parties prenantes institutionnelles et économiques.

Guilhaume JEAN est manager en Affaires Publiques et Communication au sein de WEMEAN, Cabinet de conseil aux dirigeants. Il accompagne des dirigeantes et des dirigeants d’entreprises dans leurs stratégies, leurs relations publiques et leurs prises de paroles institutionnelles.

Fort d’un parcours professionnel comme collaborateur parlementaire, conseiller politique en cabinet d’élu, consultant en cabinet de conseil puis collaborateur au sein de la Direction des Affaires Publiques du Groupe ADP, il a eu la responsabilité de l’élaboration de stratégies de gestions de débat public, de communications et de lobbying.

Convaincu que seules les entreprises capables de faire la preuve de leur impact positif dans la société et les territoires pourront faire entendre leurs points de vues auprès des pouvoirs publics, il veille à faire de ses clients des partenaires écoutés et incontournables des autorités publiques. Pour cela, il accompagne ses clients avec l‘équipe WEMEAN par la co-construction et le suivi de stratégies de « Lobbying Positif © », à Paris comme dans les territoires.

Spécialiste de la prise de parole publique, il accompagne également les dirigeants dans leurs prises de paroles institutionnelles et médiatiques, par des programmes de formations dédiées.

Parallèlement à ses activités professionnelles, Guilhaume est enseignant à Sciences Po Paris en lobbying, et préside l’association des “Jeunes Lobbyistes” qui regroupe près de 200 professionnels des affaires publiques de moins de 35 ans.

Guilhaume Jean

Guilhaume JEAN est manager en Affaires Publiques et Communication au sein de WEMEAN, Cabinet de conseil aux dirigeants. Il accompagne des dirigeantes et des dirigeants d’entreprises dans leurs stratégies, leurs relations publiques et leurs prises de paroles institutionnelles. Fort d’un parcours professionnel comme collaborateur parlementaire, conseiller politique en cabinet d’élu, consultant en cabinet de conseil puis collaborateur au sein de la Direction des Affaires Publiques du Groupe ADP, il a eu la responsabilité de l’élaboration de stratégies de gestions de débat public, de communications et de lobbying. Convaincu que seules les entreprises capables de faire la preuve de leur impact positif dans la société et les territoires pourront faire entendre leurs points de vues auprès des pouvoirs publics, il veille à faire de ses clients des partenaires écoutés et incontournables des autorités publiques. Pour cela, il accompagne ses clients avec l‘équipe WEMEAN par la co-construction et le suivi de stratégies de « Lobbying Positif © », à Paris comme dans les territoires. Spécialiste de la prise de parole publique, il accompagne également les dirigeants dans leurs prises de paroles institutionnelles et médiatiques, par des programmes de formations dédiées. Parallèlement à ses activités professionnelles, Guilhaume est enseignant à Sciences Po Paris en lobbying, et préside l’association des “Jeunes Lobbyistes” qui regroupe près de 200 professionnels des affaires publiques de moins de 35 ans.